En transit

Publié le 5 Novembre 2014

Des habits qui traînent un peu partout sur le sol de la chambre. Des valises à moitié défaites, par manque de temps, par flemme, par sentiment d’à quoi bon vu qu’on ne reste qu’un week-end. Des verres à demi pleins et des assiettes vides posés aux quatre coins de la pièce, qu’on laisse moisir là parce qu’on fera la vaisselle plus tard. Quand le week-end sera terminé. Quand la vie normale aura repris.

Du sexe un peu trop souvent, un peu trop brut, un peu trop intense. Comme si on emmagasinait de l’érotisme et des orgasmes pour les semaines à venir. Moins d’hésitation et moins de retenue, du sexe là où on peut, à chaque fois qu’on peut, toujours un peu chargé en électricité. Une routine qui n’a pas le temps de s’installer, même si les peaux se connaissent de mieux en mieux au fil du temps, mais petit à petit. Il faut du temps pour se reconnaître physiquement, pour faire renouer les corps à la descente de l’avion ou du train. On s’embrasse à peine, on se serre dans les bras. Au fil des heures qui suivent, on se retrouve, les sensations familières, sa peau contre la nôtre. On se reconnaît et le désir devient écrasant, parce qu’on sait que le temps est compté.

Des lits qui ne sont pas le nôtre, qui ne sont pas habituels. Qui le deviennent peu à peu au fil des partages. Un réseau de rues étrangères qu’on découvre, qu’on s’approprie petit à petit, dans lequel on regarde l’autre évoluer avec naturel, chez lui. On l’observe. On l’épie du coin de l’œil quand il rit avec ses amis, quand il prend sa mère dans ses bras, quand il discute avec son boulanger. Comme s’il y avait des signes cachés dans ce décor, des indices pour mieux cerner cette personne, cet encore inconnu. Son environnement habituel nous donnera peut-être des clés pour mieux le comprendre, pour compenser le temps qu’on ne passe pas à côté de lui.

Des couloirs d’aéroport à demi vides, qui s’étirent à l’infini. Les sachets miniatures de shortbreads ou de chips au vinaigre. Les contrôles de sécurité à répétition, les gestes appris par cœur, les différents terminaux que l’on sait placer sur une carte, le RER B qui n’a plus de secret pour nous. Des adieux sur des quais de gare, devant des guichets d’enregistrement, au pied de bus prêts à partir. On passe autant de temps à se retrouver qu’à se quitter, on a l’impression de sans cesse se dire au revoir. Quand le train arrive en gare ou quand l’avion atterrit, c’est l’excitation et la joie pure, le basculement dans une bulle, le temps d’un week-end, d’un séjour. Quand il faut rentrer chez soi ou le quitter, c’est l’abattement, la fin d’une parenthèse, un sentiment bizarre de solitude nouvelle. Une dent de scie permanente, entrecoupée de longues périodes de vide, pleines de conversations Skype et de textos tardifs, de likes Facebook et de Snapchats dénudés.

Entre les revoyures, la vie normale reprend, et c’est agréable. Mes potes, mon ciné, mes horaires, mon quotidien. On en viendrait presque à l’oublier, en tous cas oublier sa présence, son visage. On ne ressent pas trop le manque, on est content de s’absorber dans ses propres centres d’intérêt. On sait que quand on va se revoir, il va falloir s’ajuster à d’autres envies, d’autres horaires, d’autres préférences. A quel moment arrête-on de s’adapter pour commencer à s’effacer ? A quel moment cesse-t-on de faire de la place à l’autre, pour finalement le laisser s’étaler ?

C’est l’ennui avec la distance. On alterne les périodes où on se retrouve seul et où on retrouve toute la latitude de son indépendance, et des moments à deux presque douloureusement concentrés, trop intenses, vécus à outrance pour ne pas en rater une miette. Alors qu’il faudrait une montée sereine des sentiments, un apprivoisement lent et mutuel de l’autre, de la vie à deux, du couple. Là c’est chaud et froid, noir et blanc, tout ou rien. On fait avec. On essaie de ne pas se perdre tout en ouvrant grand les bras. On navigue entre ici et là-bas en essayant d’aimer les deux facettes de l’histoire, les périodes sans et les périodes avec. C’est un peu comme avoir deux vies, une de célibataire et l’autre de couple. Ça a ses bons côtés. Et ses mauvais aussi, l’épuisement après les Skypes nocturnes en semaine, une envie d’affection qu’on avait moins avant, puisqu’on s’était habitué à s’en passer, un sentiment parfois vague de tourner en rond ou d’aller nulle part.

Piano piano, on verra bien. On progresse doucement sur le tumultueux chemin des retrouvailles.

Rédigé par Nombre Premier

Publié dans #Love etc

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