L'après 13 Novembre
Publié le 15 Novembre 2015
Le 13 Novembre c’était avant-hier. Tout mon soutien et mes pensées aux victimes, à la famille des victimes, aux témoins de l’horreur, aux gens qui se sentent touchés au plus profond d’eux-mêmes. J’ai vécu cette nuit depuis chez moi, depuis mon Twitter, BFM TV dans mon salon, mon téléphone pour avoir des nouvelles de mes proches et partager mon incrédulité et mon émotion. Deux jours plus tard, on est dimanche. Demain c’est lundi et le travail reprend. Et l’après-13 Novembre commence. J’ai essayé de réfléchir à comment je voulais gérer l’après, qu’est ce qui était important pour moi et ce qui me faisait peur. J’ai dressé cette petite liste qui m’est propre, évidemment, loin de moi l’idée d’imposer ou de juger qui que ce soit. J’ai juste envie de partager, parce que depuis vendredi soir encore plus qu’avant, j’ai envie de partager, de discuter, d’écouter les humains qui m’entourent.
1. Partager
Du coup, naturellement, c’est mon premier point. Si au début j’ai eu du mal à décrocher des live et des réactions à chaud sur les réseaux, c’était par panique, incompréhension, émotion. Maintenant, j’ai envie de continuer à parler et à échanger sur ce qui est arrivé pour alimenter mes réflexions dessus et pour commencer à penser l’avenir. J’essaie de lire des articles de fond, les interviews d’experts du terrorisme ou les intellectuels qui ont réfléchi sur Daech, les Twittos qui ont des choses à dire sur le sujet. Je considère qu’il est important de comprendre comme Daech fonctionne, qui est l’Etat Islamique, comment il est organisé et comment il frappe. Je pense que ce n’est pas possible de se contenter de « Ce sont des psychopathes et des malades mentaux ». Car il est bien clair que Daech est organisé, méthodique, puissant. Le connaître, c’est le comprendre mieux, et c’est ensuite pouvoir peut-être lui opposer une réponse.
2. Arriver à avoir une réflexion claire et objective
Je suis assez surprise des réactions sur mes différents réseaux sociaux, où les gens que je suis ou avec qui je suis amie ont exprimé leur émotion et leur amour avec dignité et respect. Merci, merci. Ça fait du bien de lire ces messages de soutien, ces messages humains et solidaires. C’est ce dont on avait besoin, pendant, après. C’est ce dont on a encore besoin aujourd’hui. Et quand viendra le temps de réfléchir sur ce qui s’est passé, essayer de comprendre et essayer de penser la suite, il faudra arriver à ne pas céder à l’irrationnel, aux théories du complot, à la facilité qui consiste à accuser un groupe de personnes, une religion, un pays en généralisant. Ça serait tellement plus simple si c’était vraiment « les méchants contre les gentils », comme le disait le tweet de je-ne-sais-plus quel partisan des armes américain. Malheureusement, cette situation est tout sauf blanc et noir. Elle va requérir une analyse fine, de la nuance, de l’exactitude dans les termes et dans ce qu’on désigne, de l’objectivité et de l’humanité, pour obtenir une position et un discours clairs, solidaires et auxquels tous les Français et tous les gens qui s’opposent à Daech dans le monde peuvent se rattacher.
3. Rester unis et le devenir encore plus
Rester unis, en France, et à travers le monde. Rester solidaires, tous. Faire des ponts entre les gens, rappeler les valeurs communes, rappeler que tout le monde souffre du terrorisme. Je me sens Française aujourd’hui, comme avant le 13 Novembre, dans le sens où je me sens appartenir à une société civile qui refuse en bloc le terrorisme. Je me sens unie et proche de toutes les religions qui composent la France, de toutes les origines ethniques qui composent le peuple français. S’il faut parler et discuter de sujets qui pourraient aller à l’encontre de cette unité, faisons-le, pourquoi pas dans un débat national. Si les gens ont besoin de s’exprimer sur le chômage qui touche tout le monde, sur le racisme quotidien, sur le désintérêt, voire la méfiance pour le monde politique, sur des évènements historiques qui ont des résonances aujourd’hui, écoutons-les. L’idéal serait de dépasser ce qui nous déchire pour pouvoir nous rassembler autour de ce que nous avons en commun, de nos valeurs communes. Ce qui crée la rupture, ce qui nous divise ne va pas disparaître du jour au lendemain. Mais il faudrait en faire un facteur d’unité, dans le fait notamment de lutter contre, plutôt qu’un facteur de division. Et se sentir aussi concerné par tous les peuples, tous les pays touchés par le terrorisme de Daech, comprendre leur position et entendre ce qu’ils ont à dire, comment on peut les aider.
4. Contribuer à créer une société plus juste
J’ai lu un article de Slate intéressant ce matin – le voici :
http://m.slate.fr/story/109981/daech-vraie-nature
A un moment, il explique que la guerre contre le terrorisme ne se gagne pas dans une logique purement guerrière. On ne peut pas lutter seulement avec les armes et la sécurité renforcée contre des gens qui n’ont rien à perdre, même pas la vie, qui ont des moyens humains énormes, qui sont organisés et qui malheureusement savent ce qu’ils font. La guerre contre Daech et le terrorisme est d’abord idéologique. Pas religieuse, en tous cas je ne la conçois pas comme ça, dans le sens où il ne s’agit d’opposer une autre religion « meilleure » à l’Islam radical de Daech. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a une opposition de valeurs de société, des différences fondamentales dans la manière d’envisager la justice, la condition humaine, la liberté. Comme tout radicalisme, Daech ne fait pas dans la nuance, la demi-mesure. C’est justement ce côté « gentils contre méchants » qui peut séduire certaines personnes qui rejoignent l’Etat Islamique de leur plein gré parce qu’ils leur donnent des repères et qu’elles n’en trouvent plus là où elles sont.
Il s’agit donc de récréer ces repères. D’affirmer et d’œuvrer au quotidien pour la société dans laquelle on veut vivre, que l’on veut voir apparaître. Ça n’a rien à voir avec la sémantique d’extrême-droite où les valeurs en question sont du genre travail, famille, patrie. Je parle de valeurs morales choisies par chacun, dans lesquelles nous croyons profondément. La solidarité avec ceux qui sont en détresse morale ou physique. Lutter contre l’isolement, physique ou émotionnel. Lutter contre toutes les inégalités, les discriminations : racisme, sexisme, transphobie, grossophobie, etc. Dire l’importance de la liberté, le bonheur qu’il y a à pouvoir choisir qui on est, à pouvoir devenir celui que l’on choisit. Alors bien sûr, ce n’est pas de l’angélisme, il y a de la violence, des contraintes économiques, des systèmes en place qu’on condamne. On vit dans une société problématique à plein de points de vue, dans un monde secoué par des évènements si atroces qu’ils nous dépassent.
Mais au cœur d’un système, d’une société, d’un pays et du monde, il y a une somme d’individus, il y a les hommes. Je me sens responsable, à mon échelle, du visage de la société, du monde dans lequel je vis. Par mes actions individuelles au quotidien et par mes engagements politiques ou collectifs, je peux contribuer à construire une façon de vivre et un système de valeurs qui sera assez fort, assez attractif et assez humain pour contrer celui que propose Daech. Et ça commence par moi, tous les jours. Par une réflexion autour des valeurs que je veux porter, et ensuite par l’action, pour les exprimer. Aider les gens, ce que je rencontre, ceux qui se font harceler dans les transports, ceux qui n’ont rien à manger ce soir, ceux qui ne vont pas bien au travail. Prendre position face à une remarque qui nous déplaît, le racisme ordinaire, la bonne blague sexiste. Ne pas céder à des comportements problématiques, être conscient de ses éventuels privilèges et lutter contre. J’écris ça de mon point de vue, femme cis hétéro blanche, donc forcément, c’est un point de vue de privilégiée, il faut donc aller lire ou écouter ailleurs la parole de ceux qui subissent les discriminations. S’engager auprès d’associations ou de mouvements politiques qui contribuent à créer une société plus solidaire. Donner à tout le monde le moyen d’être en bonne santé, libre, d’être lui-même, de se sentir soutenu et pas abandonné. Bref, donner de soi-même, se poser des questions, penser la société et lui donner forme. Le monde politique, l’économie, et bien d’autres acteurs ont évidemment un rôle majeur à jouer dans la constitution de ce monde meilleur en opposition à celui défendu par Daech. Mais nous aussi, à notre niveau individuel, nous pouvons agir. Et personnellement, je pense que j’en ai la responsabilité.
J'ai beaucoup parlé ici, c'est un peu le principe du blog, je parle sans être interrompue etc. Mais si vous en avez envie, que vous partagiez mon point de vue ou pas, n'hésitez pas à commenter ici ou sur Facebook. Comme je l'ai écrit au début, en ce moment, j'ai envie et besoin d'échanger avec les autres.