Un homme, un vrai
Publié le 11 Novembre 2015
Ces derniers jours, différents évènements m’ont poussée à réfléchir à la place des hommes vis-à-vis du féminisme. J’entends souvent dire que les hommes aujourd’hui sont perdus, ils ne savent plus quelle place occuper dans la société. Ils tournent un peu en rond, cherchent comment se définir une identité, comment aider aussi. Ils arrivent à concevoir qu’il y a encore pas mal à faire en ce qui concerne l’égalité homme/femme. Alors ils veulent soutenir, ils veulent bien faire. Dans le meilleur des cas, parce qu’il y en a quand même un grand nombre qui s’en tapent. Bon, pour ceux qui veulent soutenir la cause féministe : comment faire ?
Récemment, le médecin Baptiste Beaulieu a publié sur son blog et sa page Facebook une tribune sur le sexisme qui a été grandement reprise et partagée par devers les réseaux sociaux. Moi-même, quand je l’ai vue apparaître dans mon fil Facebook, je me suis dit Bon, cet article n’apporte rien de neuf au débat, c’est une dénonciation du sexisme ordinaire tout ce qu’il y a de plus basique, sans aucune réflexion neuve ni aucune réflexion autour de solutions possibles. C’est juste un article qui explique pourquoi c’est difficile d’être une femme aujourd’hui. J’étais sincèrement touchée qu’autant de femmes partagent son texte (oui, parce que ce sont principalement des femmes qui se sont senties concernées et impliquées, alors même que son texte disait s’adresser aux hommes). Ça fait plaisir de savoir qu’on n’est pas seules à se poser des questions ou à se révolter. Benoîtement, j’ai donc voulu partager ce texte, en me disant C’est chouette, en plus il s’adresse aux hommes, et comme j’ai parmi mes amis FB plusieurs hommes qui ont envie de soutenir la cause féministe, ça va les intéresser. Et puis, au moment d’écrire le petit commentaire qui va bien pour partager le lien de l’article, cette phrase m’est venue : Le texte de Baptiste, à destination des hommes qui comprennent mieux le féminisme quand c’est un autre homme qui explique.
Et bien c’est exactement ça.
En soi, le texte de Baptiste n’apporte rien au féminisme : c’est du rabâché, il y a mille fois plus clair, didactique, pédagogique, documenté et mieux écrit ailleurs, écrit par des femmes. Pourtant, c’est ce texte qui est partagé, qui est mis en lumière, c’est Baptiste qu’on invite pour en parler à la télé. C’est un texte où tout du long, Baptiste nous redit qu’il ne peut pas savoir ce qu’une femme ressent quand elle est victime de sexisme sous toutes ses formes. Mais il fait un effort pour se mettre à sa place. Juste une idée, mais ça ne serait pas plus pertinent de donner la parole aux femmes qui, elles, savent ? C’est comme si un non-racisé écrivait un article pour expliquer qu’il ne peut pas savoir ce que ressentent les victimes de racisme, mais il va essayer. Pourquoi ne pas simplement les laisser s’exprimer?
Baptiste explique qu’il a écrit ce texte en toute bonne foi, pour profiter de sa notoriété pour faire réagir les gens et interpeller directement les hommes au sujet du sexisme. Parce qu’une femme, quand elle parle de sexisme pour le dénoncer, elle est mise dans la catégorie féministe et elle n’atteint jamais le mainstream. Sa parole est toujours entachée de cette faute originelle qui consiste à avoir un vagin et à vouloir dénoncer les inégalités. On va dire qu’elle est hystérique, chienne de garde/femen, agressive, qu’elle hait les hommes, qu’elle est too much. Alors qu’elle fait simplement part de revendications qui la touchent directement. Il faut que Baptiste prenne sa plume pour expliquer au nom des femmes qui ne lui ont rien demandé ce qu’elles subissent tous les jours. Il aurait pu interviewer des femmes, compiler des citations, mentionner les sources de ses lectures féministes qui l’ont aidé à prendre conscience de la situation. Il aurait pu mettre les femmes en exergue, se retirer un peu dans l’ombre et enfin les laisser parler sur ce sujet qui les concerne. Mais il a préféré s’accaparer leur parole et le pouvoir, en perpétuant ainsi la domination masculine qu’il prétend dénoncer.
Autre évènement, autre questionnement : la campagne contre le harcèlement de rue lancée contre le gouvernement. Problématique brûlante et douloureusement quotidienne s’il en est. La ligne de métro avec les insultes qui s’intensifient et le fait de dire stop à la fin, pourquoi pas. Le fait d’inciter les gens (surtout les hommes quand même, parce qu’ils sont plus costauds) à réagir et à ne pas rester de marbre, oui, évidemment que c’est toujours une bonne idée, voire une évidence. Inviter les femmes à signaler systématiquement leurs agresseurs : pourquoi pas, reste que matériellement c’est pas évident, beaucoup de contraintes et peu de résultats. Bon ben du coup on fait quoi ?
Une grosse donnée que cette campagne passe sous silence en ne le mentionnant pas vraiment explicitement, c’est que le harcèlement de rue est le fait des hommes. Les femmes ne harcèlent pas les autres dans la rue. Les hommes, oui, parce que l’espace public leur appartient. Le harcèlement de rue est l’une des manifestations les plus criantes de leur domination de la société. Pourquoi, comment leur vient-il même à l’idée de commenter sur le physique d’une inconnue qui passe, en bien ou en mal d’ailleurs ? Comment peuvent-ils même penser un seul instant que cette femme qui marche dans la rue, vaquant à ses affaires, a envie qu’on lui parle, qu’on l’aborde ? J’ai déjà eu une conversation avec un homme féministe qui fait partie de mes amis qui m’a dit : Mais à ce compte-là alors, on ne peut plus draguer et rencontrer des gens dans la rue ? Personne ne se parle, c’est déprimant, c’est la solitude et il n’y a plus de rapports humains ? Mais pas du tout. Si tu veux des rapports humains, pourquoi tu ne discutes pas avec ton commerçant ou avec ton voisin de bus mâle ? Et si tu veux draguer, personnellement je ne comprends pas trop comment les couloirs du métro bondés à 19h30 ou le parvis de la gare où la fille attend ses potes peuvent constituer des cadres appropriés à de la drague. Pour moi, même si tu penses que c’est la femme de ta vie, fous-lui la paix. Va draguer en boîte, dans un bar, dans un café à la limite, dans un cours de sport ou de langue ou dans un lieu fait pour l’interaction avec les autres. La fille aura toujours l’opportunité de dire qu’elle n’a pas envie de te parler là tout de suite maintenant, mais au moins elle sera dans un environnement qui est par défaut plus ouvert sur les autres. La fille, dans la rue, elle a juste envie de ne pas se faire emmerder.
Enfin, il y a toujours des cas particuliers etc. Je ne prétends pas détenir de vérité supérieure, je parle juste de mon expérience et de celle de femmes dans mon entourage. Je vous renvoie vers cette excellente BD qui en parle très bien :
http://www.insolente-veggie.com/harcelement-de-rue-moi-aussi/
Et si vraiment tu n’en peux plus et tu penses que si tu n’abordes pas cette fille qui marche devant toi, tu n’as plus qu’à embrasser le célibat à vie, et bien parle-lui normalement, en étant poli, et ne t’offusque pas si elle passe tout simplement son chemin ou ne souhaite pas engager la conversation. C’est son droit le plus élémentaire.
Autre évènement (oh la la il se passe trop de choses ! Not) : bientôt, je vais partager mon toit avec un individu homme cis blanc hétéro, autant dire la bête noire de bon nombre de féministes sur Internet tant il est souvent (mais pas tout le temps, attention, ne généralisons pas, not all men) générateur de réflexions compliquées à gérer. Nous n’avons que très vaguement abordé les considérations domestiques type gestion des courses alimentaires et préparation des repas. Mais j’ai senti une angoisse monter au fond de moi quand j’ai évalué comment nous fonctionnons à ce jour. Le reste de l’intendance ne pose pas vraiment de problème, par contre la bouffe (le cœur de la guerre), si. Nous faisons à peu près les courses ensemble, avec moi qui ait plus ou moins une liste en tête, lui qui porte le panier et qui traînaille dans les rayons. Arrivés à la maison, je range les courses et parfois il m’aide. Vers seize heures, au moment où je commence à me demander en quoi va consister mon dîner (oui, je suis une morfale), je suis toute seule à me poser la question. Lui s’en bat comme de son premier jeu de console (mauvais exemple car son premier jeu est son premier amour. Bref). Du coup, je finis par élaborer un dîner en vague concertation avec lui :
- T’as envie de quoi ce soir ?
- Je sais pas.
-OK… Ya les blancs de poulet, on peut les faire genre à la crème, avec du riz ? Ou alors avec les carottes, avant qu’elles ne pourrissent ?
-Super idée, ça a l’air bon !
- Mais du coup, je fais le riz ou les carottes ?
-Comme tu veux, moi tout me va. C’est toujours bon ce que tu fais.
Me voilà donc partie pour faire mes escalopes et mes carottes (ou mes pommes noisette surgelées, ça dépend). On mange. Il fait la vaisselle.
Notez quand même qu’il participe un petit peu à la vie domestique, ce n’est pas non plus une larve. Mais il n’a aucun réflexe de gestion, d’intendance, d’anticipation, et si je ne me mets pas à faire à manger à un moment, on ne mangera jamais. C’est sans doute lié à lui, sa personnalité et ses traits de caractère. C’est aussi lié à moi, qui à force de prendre les devants, de me poser des questions, de gérer et d’agir, ne l’oblige pas à se remettre en cause. J’ai donc eu une discussion avec lui où je lui ai expliqué que je n’avais pas envie d’assumer seule l’intendance domestique au moment de notre cohabitation. Ce n’est pas (spécialement) parce que c’est fatiguant, que je n’aime pas faire à manger ou que ça me saoule : c’est d’abord et surtout par principe. Pourquoi c’est moi qui doit m’encombrer l’esprit à élaborer la liste de courses de la semaine ? Pourquoi lui aussi ne peut pas se rappeler de l’existence du taboulé au fond du frigo à manger ce soir sans faute sinon il ne sera plus bon ? Pourquoi c’est moi qui dit « Dis donc, il nous faudrait deux oignons pour ce soir » et pourquoi c’est lui qui répond « Ok, je vais les chercher à l’épicerie d’en bas » et pas l’inverse ?
D’aucuns diront que je cherche la petite bête et que c’est déjà bien beau qu’il fasse quelque chose à la maison, qu’il est de bonne volonté etc. Ma mère, par exemple. Elle qui a assumé seule l’intendance et le fonctionnement du foyer et des enfants pendant trente ans, pendant que mon père travaillait et ne rentrait qu’à vingt heures, ne comprend pas vraiment ces questionnements. Pour elle, ça coule de source que toutes ces choses à faire vont me retomber dessus à moi. Je lui ai donc expliqué que contrairement à son expérience, je ne suis pas « femme au foyer », je travaille tout comme mon colocataire. Donc il faut tendre vers une répartition juste et égale des tâches. Non ? Oui mais non un peu, car comme dit ma mère, Toi tu fais la liste de courses et tu l’envoies faire. Tu ne peux pas lui demander de savoir quoi acheter par lui-même.
I beg to differ ! Et pourquoi pas ?
Bon, je continue à réfléchir sur le sujet. Heureusement ce jeune homme est coopératif, ouvert sur la question, j’ai donc bon espoir que nous arrivions à un équilibre. Mais ce n’est pas facile tous les jours de vivre une vie de couple hétéro sans trahir ses convictions fondamentales sur la place des femmes et le partage des tâches. Mais ce sont des questionnements nécessaires, et les hommes peuvent aider en réfléchissant aussi à leur manière de contribuer et à leur rôle dans le foyer.
Voilà pour ce post tout rempli à ras-bord de féminisme. Je m’en vais de ce pas glander sur mon canapé en regardant How to get away with murder, parce qu’après tout, c’est le 11 Novembre, alors j’ai que ça à faire.
De saines lectures pour vous les hommes (et pour les femmes aussi):
http://www.crepegeorgette.com/2014/07/23/hommes-feminisme/
http://www.crepegeorgette.com/2014/02/19/les-hommes-qui-voudraient-sinteresser-au-feminisme/