Du courage
Publié le 26 Juin 2016
Il y a des moments merveilleux lorsque l’on tient un blog : quand un lecteur nous écrit un message qui nous touche et nous donne envie d’y répondre dans la seconde. J’ai reçu un message de ce type il y a quelques temps suite à mon dernier article et je me suis employée immédiatement à répondre, mais je me suis trouvée un peu bête, incapable de trouver les bons mots, de doser l’émotion. J’ai fini par laisser ce message au fond d’un tiroir numérique faute de réussir à élaborer une réponse satisfaisante.
Cette bouteille à la mer, la voici :
Plus largement, on fait comment pour acquérir du courage quand on n'en a pas ? Le courage, aujourd'hui, les gens voient ça comme aller squatter la place de la république à l'heure de la fermeture des mcdo, ou alors achètent du café équitable récolté avec les pieds par des orphelins aveugles dans les montagnes du machu pichu en parlant de courage intellectuel.
Moi, j'ai mes mecs sous mes ordres, ils ne font pas ce que je dis, et faut que je les engueule. Et j'aime pas ça. Avoir à faire preuve d'autorité, c'est du courage. Moi qui ai été élevé en tant que cadre qui n'encadre rien d'autre que son clavier et sa souris, à la sauce badge / métro / costume Brice, la réalité picote. Sauf que c'est la vraie vie, celle où il faut prendre l'ascendant, avoir de la bouche, commander, diriger, exiger. Finalement, c'est la même chose que ce dont tu parles dans l'article : il faut avoir le courage de dire les choses, de faire, de "raise the point". Mais à nouveau, comment fait-on si on n'en a pas assez en stock, du courage ?
Le courage. J’aimerais te dire qu’il y a une recette magique pour en obtenir et qu’ensuite on en a pour le restant de sa vie et pour toutes les difficultés qu’on va rencontrer. Qu’on peut constituer un stock de courage et puiser dedans à volonté. Qu’il est possible de se transformer en « personne courageuse » et qu’on sera toujours cette personne, sans jamais faillir ou sans connaître de passage à vide.
Je me considérais forte, je me trouve fragile souvent. J’ai démarré ma vie forte, je suis devenue si fragile à l’adolescence, presque transparente, et puis j’ai construit une carapace, des fortifications internes qui m’ont soutenue fidèlement pendant dix ans. L’an dernier, alors que je les pensais à l’épreuve de tout, ces dernières ont vacillé, et aujourd’hui je me retrouve plus à vif, plus écorchée qu’auparavant, mais plus solide tout de même qu’à dix-sept ans. Un pas en avant, un pas en arrière.
Il faudrait réussir à affronter chaque difficulté une par une, en se concentrant sur un défi ou un obstacle à la fois. Puiser du courage dans le fait de savoir qu’on essaie simplement d’être quelqu’un de bien, de faire du mieux qu’on peut : son travail, son rôle de chef, sa vie amoureuse, ses amitiés, son destin. On essaie si fort. On donne tout. Ça ne veut pas dire qu’on ne va pas se ramasser. Mais tout de même, on peut être fier d’être ici, impliqué, on ne lâche rien. On peut se féliciter, se dire qu’on n’est pas si nul, que regarde, on est toujours là.
Le courage pour moi vient du sentiment d’être au bon endroit, au bon moment. De faire la chose juste, de se montrer à la hauteur de l’instant T. Il est plus facile d’affronter les difficultés quand on se bat pour une cause, quand on a choisi une voie passionnante mais difficile, quand on se sent investi d’une mission, d’un projet. Comme quand on m’a dit que j’étais courageuse d’avoir été entrepreneuse pendant trois ans. Avec le recul, je l’ai certainement été. Mais c’était une forme particulière de courage, celle qui irradie à partir d’un choix de vie, de quelque chose que l’on a choisi. Il faut alors se dire qu’au moins on est là où l’on voulait être, même si on n’est plus sûr des raisons qui nous ont poussé ici. On suit un chemin, on trace une voie. On avance.
Encore plus terrible de trouver le courage de continuer quand on n’a pas eu voie au chapitre ou quand on se sent dépassé par les évènements. Quand on a l’impression que tout s’enchaîne, que l’on est au cœur du tourbillon. On voudrait dire pause, s’extraire de l’inexorable roue du temps pour réfléchir, pour infléchir sa course. Pourtant il faut se lever chaque matin. Il faut prendre le métro, faire les courses, préparer le dîner. Les jours sombres, on se retrouve assis seul sur le canapé, les yeux dans le vague, des idées confuses plein la tête, sans pouvoir se relever et entrevoir un bout d’horizon. Trouver du courage aujourd’hui, pas facile. Hors de sa petite vie, il existe tant de sources de désespoir ou d’inquiétude. Et dans sa propre vie, il y a tant de pression, d’objectifs, de validation, non-dits. Il faut ranger ton appart. Manger sainement. Recycler tes déchets. Repasser tes chemises. Nettoyer tes vitres. Penser à prendre ta pilule. Ne pas grignoter. Recharger ta carte de cantine. Finir ce travail urgent. Imprimer tes billets de train. Appeler ta mère. Voir ces amis que tu n’as pas vus depuis longtemps. Faire tourner une machine. Skyper avec cette amie à laquelle tu penses souvent. Payer ton loyer. Terminer ta thèse. Ranger ton placard à chaussures. Organiser tes vacances. Le positif et le négatif s’entremêlent jusqu’à former une masse unique de contraintes, de délais et de rappels mentaux.
Je n’ai pas le courage parfois. Je ne peux que rentrer chez moi le soir après le boulot, vidée, l’esprit encombré, embrouillé. Je n’arrive pas à aller boire une pinte, à prévoir un rendez-vous OKcupid, à passer un coup de téléphone que j’ai pourtant déjà trop repoussé. Le week-end, je dors, je range, je fais à manger. Je lis, je regarde des séries. Je vois des amis, un peu, je n’arrive pas à en faire trop, je ne suis pas assez détendue pour en profiter. Ça fait longtemps que j’ai un léger syndrome d’anxiété sociale, il se fait parfois oublier, et parfois il est plus présent que d’habitude. Je pense à tant de gens, je les porte dans mon cœur et j’espère qu’ils vont bien. Je m’en veux de ne pas réussir à être plus disponible, à ne pas les voir plus souvent, à ne pas plus faire partie de leur vie, même si je ne me pense évidemment pas indispensable. S’ils ont un souci, je voudrais leur dire que je serai là toujours, mais que dans le quotidien, dans l’amitié de tous les jours, je foire un peu, je ne suis pas celle que je souhaiterais.
Je n’ai pas le courage de rester positive, parfois. Je n’ai pas le courage de voir le bon côté des choses, de garder espoir, d’envisager l’avenir avec sérénité. Je n’ai pas la force de ne pas me laisser aller à l’aigreur, à l’amertume, à la déception et à la méfiance. La vie t’abîme, tu coules un peu. Il faut toujours remonter la garde, repartir au combat et faire face. Pense aux autres. Pense à tous les autres autour de toi, qui traversent le même type d’épreuves. Ceux qui ont l’air sûrs d’eux, qui font semblant. Ceux qui ne disent rien, qui évitent les regards, qui essaient de rester discrets. Les forts en gueule, les charmeurs, les grands taiseux, les planants. Ceux que tu admires, qui t’impressionnent. Ceux qui te font peur, qui t’indiffèrent, qui te fascinent, ceux dont tu te moques. Tous se posent les mêmes questions, tous cherchent désespérément le courage, à l’intérieur, auprès de ceux qu’ils aiment. Il n’est facile pour personne de vivre la vie qui leur a été donnée ou qu’ils essaient de construire – ils essaient, comme toi. Personne n’est parfait. Dis-toi que là, à l’instant présent, au lieu et à la place qui est à la tienne pour l’instant, il faut faire le job, jouer le jeu, continuer la partie. Tous, ils te soutiennent à leur manière, par leur existence même.
Et en dehors du moment présent, il faudrait arriver à se poser un peu comme un oiseau sur une branche pour penser à l’avenir. Pour envisager ce qu’il faudrait changer pour rendre la vie plus supportable. Pour quantifier sa marge de manœuvre, pour prendre son mal en patience, pour penser à des choses positives à venir pour donner du courage au présent. Au final, tu penses à des choses qui te font du bien, tu passes un dimanche au soleil, tu partages un bon repas avec des amis et tu as un regain d'énergie, tu vois la vie en rose et tu repars du bon pied bille en tête dans la vie.
Tu vois, je ne suis toujours pas satisfaite de ma réponse. Tout ce que je peux te dire, c’est ce que je pense à toi. Je pense à vous tous et à toutes ces formes différentes de courage. Pensons les uns aux autres, et en avant. Et s’il y en a un qui flanche, nous les autres, nous le soutiendrons.