Confinement, Day 7
Publié le 21 Mars 2020
Quelle originalité. Les journaux de confinement fleurissent en ce moment, l'ennui nous guette, un ennui de luxe, l'ennui de ceux qui n'ont pas à continuer de travailler ou à sauver des vies. Et le temps est bon, le temps est long, le temps est là, enfin. Ce temps libre qu'on passe notre vie à appeler de tous nos voeux. Enfin, moi. La cadre moyenne parisienne. Celle qui passe deux heures par jour dans le métro. Celle qui passe 10 heures par jour au boulot. Celle qui râle tout le temps, qui est tout le temps crevée, qui fait les courses tout en appelant sa mère, qui s'engueule avec son mec au sujet de la vaisselle tout en Whatsappant avec sa meilleure amie installée à Londres. Quelqu'un d'assez ordinaire.
Là, j'ai vraiment le temps.
Bon, parfois, le temps est traître. Tout ce vide, on se sent obligé de le remplir. La nature a horreur du vide (et trouve toujours un chemin, mais c'est une autre histoire. Quoique). Cette première semaine, je l'ai passée à dire des choses comme "je vais enfin pouvoir terminer mon roman" ou "je vais me mettre du lait pour le corps tous les jours" tout en jouant à My time in Portia en mangeant des chips sur le canapé.
Je suis un esprit moyen dans un corps faible. C'est pas évident.
Au 7eme jour, Dieu se reposa, mais c'est parce qu'il avait déjà pas mal bossé. Moi j'ai encore rien foutu. Enfin si, je me suis beaucoup engueulée. Avec ma mère, déjà. Comme tous ceux qui ont des parents boomers, j'ai passé des heures à la sermonner au sujet du confinement pendant qu'elle continuait à raconter des inepties du genre "Mais comment veux-tu qu'on fasse sans pain frais tous les jours?" ou "Si je ne rapporte pas le Midi Libre à tes grands-parents, ils ne comprendront pas". Même une bonne vieille pandémie mondiale ne remet pas en question cinquante ans de confort domestique. Petit à petit, elle fait des efforts, mais quelle dépense d'énergie. Mon grand-père de 91 ans, qui veut continuer à aller voir ses potes du village: "Qu'est ce que tu veux, il faut bien mourir de quelque chose". Qui suis-je pour juger. J'espère un jour avoir 91 ans et ce luxe incroyable d'avoir eu le temps. On n'en a jamais assez, mais 90 ans, c'est déjà pas mal.
Je me suis aussi pas mal engueulée avec mon cher et tendre, l'homme qui partage ma vie, j'ai nommé le Grand-Briton. Cet homme délicieux est aussi une épreuve au quotidien, et vice-versa, j'en suis une pour lui. Nous sommes si différents que nous oscillons régulièrement entre la séparation et l'amour fou. Pour les esprits romantiques qui imaginent un genre de passion délirante faite de réconciliations torrides, je vous arrête tout de suite. On se réconcilie généralement en caressant le chat et en mangeant des chips.
Bref, la cohabitation se passe à peu près bien malgré mon anxiété galopante qui évidemment ne manque pas de sujets ces jours-ci pour se manifester (en vrac, des exemples: le virus et toutes ses conséquences sanitaires. Le chômage partiel. Le futur potentiel chômage total. Le marché de l'emploi sinistré. Les projets de vie en pause. Quels projets de vie? La maladie. Les gens qui vont pas bien. Les gens qui sont loin. Le sens de la vie. Le chat - ne me demandez pas pourquoi mais je me demande souvent si le chat est heureux. De toute évidence, le concept de bonheur n'existe pas dans sa petite tête, puisque le chat est l'instant présent, donc quand il fait un peu beau, que le lit est douillet et qu'il y a à manger, le chat est le bonheur, point final).
Quand je deviens anxieuse, je pose des questions pour me rassurer, ce qui ne manque pas d'agacer le Grand-Briton qui me répond gentiment au bout de vingt minutes qu'il aimerait bien avoir un peu de tranquillité. Sur ce, je le traite d'insensible et je pleure. Il s'énerve en allant faire la vaisselle (quand il est énervé, il fait souvent la vaisselle pour se calmer, ce qui est un point très positif de nos engueulades). Je me sens si incomprise que je m'enfonce sous la couette en essayant de penser à autre chose (j'avoue, parfois je me masturbe). Au bout d'une heure, le Grand-Briton revient et me tapote gentiment la tête. Nous nous prenons dans nos bras et ça va mieux.
Jeudi, nous en étions à ce stade habituel de nos retrouvailles, en train de nous faire des chatouilles (ne jugez pas. Enfin si, jugez, je vous comprends). Et là, soudainement, son genou s'est retrouvé contre mes incisives. L'une de mes dents a bougé et j'ai flippé sa mère. Je l'ai repoussé en le traitant d'imbécile (en anglais: you idiot, c'est facile), et il m'a dit que j'étais en train d'overreacter. Et ta maman, elle overreacte? J'ai réussi à avoir mon dentiste qui prend encore les urgences le matin. J'y suis allée hier. J'ai perdu un micro-bout de dent mais sinon pour l'instant rien à signaler. Quel boulet. Je suis quand même la seule glandue à réussir à me faire péter les dents pendant un confinement.
Je racontais cette mésaventure à l'une de mes collègues hier après-midi via Skype en attendant le reste des participants à une "conf call" (vomi). J'en étais à raconter qu'il me manquait un bout de dent quand j'ai réalisé que tout le monde était connecté et nous écoutait. J'ai donc eu droit à plein de blagues du genre "Ah ben il va falloir vous occuper autrement hein!" ou "Ouais ouais, elle a bon dos la télé" (oui, j'ai inventé que c'est arrivé pendant qu'on regardait la télé. Que vouliez-vous que je dise?) Mon PDG doit donc maintenant penser qu'au lieu de télétravailler, je passe mes journées à faire la levrette à la turque en équilibre dans la douche pour tuer le temps.
C'est une illusion de toute manière. On ne peut pas tuer le temps. Tout au mieux l'apprivoiser. C'est donc ce que je me suis décidée à faire pour les semaines qui nous restent à tenir confinés. Je me remets donc gentiment à écrire (allez, il faut terminer ce roman de SF, au moins dix ans que je me le traîne). Je vais essayer de mettre un petit mot ici tous les jours (ça me manque de raconter ma vie!) Ecouter de la musique, chanter, parler par message avec des amis (et un peu au téléphone, mais c'est dur le téléphone, pour une introvertie comme moi). Ne pas trop regarder les infos, être reconnaissante de la chance que j'ai: tous mes proches sont en bonne santé, on est certes confinés mais dans 45 mètres carré à deux avec le chat, Netflix, la PS4 et plein de livres. La vie trouve toujours son chemin, pour l'instant le mien tient la route. J'espère que vous aussi ça va. Je vous embrasse tous très fort - stay safe x