A tale of two civilizations
Publié le 26 Avril 2012
- Planète X28 en vue, Capitaine.
- Parfait, Lieutenant. Mettez le vaisseau en orbite et prévenez l’équipage. Qu’ils affrètent la navette pour se poser à la surface dès que possible.
- Très bien, Capitaine.
Le lieutenant quitte la pièce et le capitaine se retrouve seul. Face à lui, la console de pilotage clignote doucement en ronronnant. L’espace s’étale de l’autre côté du hublot panoramique, dans un grand noir émaillé ça et là de tâches de lumière diffuse. Au beau milieu de la vue qu’offre la salle de commandement du Motherboat, X28 scintille légèrement à quelques milliers de kilomètres, toute emmitouflée dans son atmosphère azotée.
Le capitaine se détache du hublot et entreprend de se préparer une boisson déshydratée. Tout en mélangeant la poudre orangée à l’eau de récupération du vaisseau, il se remémore avec émotion la première planète qu’il a explorée. Une petite boule de lave froide qui gravitait en une longue ellipse autour d’une naine blanche, une étoile en fin de vie. La mission avait été éprouvante et surtout décevante: il n’y avait aucune trace de vie nulle part. Mais même si l’équipage avait fait chou blanc, cette expédition leur avait permis de nouer des liens indéfectibles, de ceux qui persistent à plusieurs millions d’années-lumière de distance. Il faudrait qu’il essaie de revoir les anciens, une fois de retour chez lui. Ca serait bien de prendre un peu des nouvelles, de parler du bon vieux temps.
Brusquement, le vaisseau subit une forte secousse et le capitaine est projeté dans les airs, où il se met à flotter.
- Mais c’est pas possible, qui a encore touché au levier d’apesanteur ?
Le liquide s’est échappé du gobelet et vogue à présent dans la pièce sous forme de grosses billes orangées.
Tout aussi brusquement qu’il l’a quitté, le capitaine retrouve douloureusement le sol. Il se redresse difficilement lorsque le lieutenant passe la porte, un peu essoufflé.
- Tout va bien, Capitaine ?
- Oui, ça va, rien de cassé. Mais bon sang, c’était qui, cette fois ?
- RQX, Capitaine. Il s’est emmêlé dans la couverture thermique qu’il enroulait et a abaissé le levier par erreur.
- Dîtes-leur que je vais finir par prendre des mesures drastiques si ça continue. Pas un jour qui ne se passe sans apesanteur. Je finis par croire qu’ils s’ennuient et qu’ils le font exprès.
- C’est tout à fait possible, Capitaine. Le voyage a été long et l’équipage a hâte de débarquer.
- Ca tombe bien, nous y sommes. La navette est prête ?
- Oui, Capitaine.
- Très bien. Nous quitterons le Motherboat à H+2.
Deux heures après, le capitaine et son équipe réduite mettent le cap sur X28, pendant que le vaisseau mère reste en orbite et en liaison radio.
- Motherboat, ici Little 1, vous me recevez ? Nous allons pénétrer dans l’atmosphère de X28. Nous activons le bouclier thermique pour protéger la navette de l’échauffement. Terminé !
Le capitaine s'installe dans son fauteuil, laissant les pilotes faire la manœuvre. Le lieutenant observe à travers un hublot et commente :
- Beaucoup de bleu, comme sur Europe. Vous y êtes déjà allé en vacances, Capitaine ? C’est incroyable. Et dire qu’il y a cinq cent ans, tout était recouvert de glace ! Depuis qu’ils ont fait fondre la croûte et construit les archipels artificiels, c’est paradisiaque. Avec ma femme, nous louons chaque année la même île, c’est parfait…
Le capitaine ne dit rien et préfère regarder au-dehors les ailes de la navette se colorer d’orange à l’entrée dans l’atmosphère. Il aime beaucoup son lieutenant, un équipier de valeur, courageux et de sang-froid. Mais si seulement il parlait un peu moins… Et sa pauvre femme, coincée avec lui sur une île perdue d’Europe, essayant désespérément de faire une sieste sur la plage avec ce moulin à paroles à ses côtés. Voilà pourquoi le capitaine ne s’est jamais marié. Sa propre compagnie est la seule qu’il tolère sur le long terme.
La navette Little 1 survole à présent la surface de X28. Les océans et les terres émergées dessinent des motifs exotiques, une dizaine de kilomètres plus bas. Le vert se mêle au bleu et le capitaine s’imagine toute la végétation incroyable qui doit s’épanouir sur cette planète. Les organismes vivants basés sur la chimie du carbone sont souvent les plus intéressants. Le silicium n’a jamais donné que des bactéries, à sa connaissance, et les assemblages de molécules de souffre qu’il a rencontrés ne lui ont pas laissé un souvenir impérissable. Avec le carbone, c’est souvent un peu plus varié.
- Motherboat, ici Little 1, vous me recevez ? Nous nous dirigeons vers une terre émergée. Nous volons à moins de cinq kilomètres du sol. Nous apercevons une végétation dense et hétérogène, ainsi que des cours d’eau de différentes largeurs. Quelques éléments semblent artificiels, même s’ils sont à présent recouverts par les végétaux. Il n’est pas encore possible de déterminer l’identité des êtres vivants intelligents peuplant X28 : s’agit-il des plantes elles-mêmes ? Nous nous posons sur une étendue dégagée, puis nous allons nous aventurer à l’extérieur de la navette. Terminé.
Chaque membre de l’équipage revêt sa protection et se saisit de son arme en discutant. L’excitation est palpable, surtout chez les plus jeunes soldats. Enfin, leur première planète ! Le sas s’ouvre dans un chuintement, et un rayon de soleil illumine l’habitacle. L’oxygène et le dioxyde de carbone gazeux inondent la pièce.. La porte achève de coulisser et dévoile enfin X28, dans toute la splendeur du crépuscule.
La navette a atterri dans une clairière herbeuse bordée de conifères. Il y a des fleurs blanches qui poussent en bouquet au ras du sol et quelques insectes dans l’air du soir. Debout pieds-nus sur le tapis vert, un groupe d’hommes et de femmes observe les visiteurs. Leur peau brunie est en partie recouverte par des lambeaux de vêtements. Leurs longs cheveux tombent sur leurs épaules musclés. Dans les mains, ils tiennent des objets en bois et en métal assemblés de façon rudimentaire. Les yeux rivés sur l’élégante silhouette métallique qui luit au soleil, ils sont sous le choc. Les légendes qu’ils se répètent de génération en génération leur reviennent : celles qui décrivent une époque où l’homme se déplaçait partout sur la Terre et même dans l’espace, où il savait construire toutes sortes de choses aujourd’hui en ruines ou en morceaux, où il pouvait communiquer à distance sans crier et où les animaux le craignaient. Est-ce enfin pour aujourd’hui, le retour des Dieux mythiques, qui rendront à l’humanité la planète qui lui a un jour appartenue toute entière? Le sourire hésitant, les hommes attendent un signe, une apparition, un avènement.
Le capitaine prend la mesure de ce qui lui fait face et pose un tentacule à terre, puis un deuxième, puis tous les autres. Il pivote en partie sa masse gélatineuse, recouverte d’une pellicule protectrice pour l'occasion, et s’adresse télépathiquement à son équipage :
- Allez, au boulot, soldats. Toute vie doit être exterminée à J+1.