Adopte un gars (2)
Publié le 27 Juin 2012
Chère fille,
Le délai fatidique des trois jours est enfin dépassé, je me permets donc de t’écrire à nouveau. Comme je te l’ai dit à la fin de notre rendez-vous de samedi, ce fut un plaisir de te rencontrer. Tu étais exactement comme je me l’étais imaginé. Je dois dire que la photo supplémentaire que tu avais envoyée m’avait bien aidé. On t’y voyait de plein pied : silhouette rondoïde mais pas désagréable. La relativement bonne luminosité du pub où tu te trouvais m’a permis de repérer tes yeux clairs et la naissante de tes seins à l’encolure de ton T-shirt. Tu tenais une bière, tu avais un grand sourire.
Attablé en face de toi dans un bar à touristes de Saint-Michel, j’ai retrouvé ce sourire rassurant. Tu as commandé un Coca Zéro. Je n’ai pas compris. Il était vingt heures, nous avions la possibilité de faire l’amour ensemble ce soir. Pourquoi se priver de ce fidèle allié qu’est l’alcool ? Ca m’a un peu inquiété, mais je n’ai rien dit. Nous avons continué à parler du travail, notre sujet de discussion depuis notre rencontre IRL dix minutes auparavant, autour de l’incontournable fontaine. J’ai bu ma Leffe en te parlant de mon boulot de commercial. Tu te touchais tout le temps les cheveux, j’ai pris ça pour un signe d’attirance. Tu riais souvent à mes blagues, assez nulles d’ailleurs. Tu sais ce que l’on dit : « Femme qui rit, à moitié dans ton lit ». Du moment que c’est la bonne moitié.
D’après ce que j’ai compris, tu bosses en finance, dans une branche à la fois obscure et ennuyeuse d’un gros groupe industriel. Je t’avoue que ça ne m’a pas donné envie d’approfondir. C’est marrant comme nos parcours se ressemblent, prépa, école de commerce, année Erasmus à l’étranger et début de carrière parisienne. C’est marrant comme on est tous tragiquement pareils, à tourner en rond et à s’entourer toujours des mêmes personnes, à rester entre soi et à rechercher des doubles. Tu as le même parcours linéaire que moi alors forcément, on avait des choses à se dire, sur ce coin de table du cinquième arrondissement. Des choses insignifiantes, mais elles constituaient une première approche, un premier reniflement mutuel d’arrière-train.
Comme tu continuais à rire de temps en temps et que j’avais éclusé ma Leffe, je t’ai proposé d’aller manger une crêpe. Tu as accepté avec simplicité. J’ai laissé de quoi régler nos deux consommations sur la table et nous sommes partis. Tu as vu, un vrai gentlemen. Ou plutôt tu as vu, tu m’attires physiquement.
Nous avons marché un peu dans les rues grouillantes de monde, sous un ciel couvert pas très engageant. J’étais content que tu n’aies pas mis de talons, je me sentais plus grand. Je voyais la marque de ta culotte sur ta hanche, sous le tissu trop fin de ta robe. J’ai eu très envie de toi à ce moment-là. Mais nous marchions séparés par une trentaine de centimètres, encore distants et dignes. Je n’ai pas osé poser ma main dans le creux de tes reins comme mon cerveau reptilien m’y invitait.
Attablés dans une petite crêperie attrape-touristes, je t’ai observée pendant que tu étudiais la carte. Je suis très fort en relations humaines, je cerne vite les gens. J’étais sûr que tu mourrais envie de prendre un truc atroce genre galette pommes de terre-lardons-crème fraîche, mais que tu n’allais pas oser pour ne pas passer pour une morfale. Pas question non plus de commander une salade sous peine d’être la rabat-joie de service. Je pariais sur la classique jambon-fromage et ça n’a pas raté. Quant à moi, j’ai pris la Savoyarde, évidemment. Tu t’es laissée tenter par du cidre et je me suis dit « ouf, une ouverture ». Tout en éclusant notre bouteille, nous avons parlé de nos goûts respectifs et communs. Tu as adoré Moonrise Kingdom, moi aussi. Tu as détesté Prometheus, je m’en fous. Tu n’as pas d’avis sur l’Euro 2012, c’est pas trop grave. J’aimerais bien avoir une passion, un hobby dévorant dont je pourrais parler avec enthousiasme et aisance, qui te ferait comprendre à quel point je suis quelqu’un d’intelligent et d’intéressant. Mais malheureusement, je n’en ai pas. A moins qu’être incollable sur les catégories de Pornhub compte.
Après un petit dessert (crêpe chocolat pour toi, frustrée de t’être retenue sur la galette, et crêpe caramel pour moi), nous avons recommencé notre lent ballet sur les pavés parisiens, direction la fontaine. Se tourner autour, se rapprocher un peu, effleurer ton épaule, guetter tes yeux, te voir sourire, penser à tes seins, te faire rire et se demander comment c’est chez toi. J’ai proposé un autre verre quelque part dans le coin, histoire d’ingurgiter plus d’alcool et d’enfin passer au rapprochement physique. Mais là, tu as évité mon regard, tu as baissé la tête et tu as dit que tu devais te lever tôt demain matin. Immédiatement, j’ai arrêté de te visualiser à poil. Qui se lève tôt un dimanche ? Personne. J’ai eu du mal à y croire, mais de toute évidence, tu m’as jeté. On se demande bien pourquoi. En y regardant à deux fois, tu étais loin d’être une beauté. Trop de fond de teint sur une peau à boutons, des dents pas franchement blanches, de la peau flasque sous les bras et sur le ventre, et un blouson en faux cuir complètement élimé.
Tout ce long mail pour te dire que ça va, j’ai passé un moment relativement agréable. Mais que c’est effectivement une bonne chose qu’on n’aille pas plus loin tous les deux. Je ne suis même pas sûr que j’aurais réussi à bander.