Adopte un stagiaire

Publié le 23 Mai 2012

Ca fait un bail que je ne vous ai pas donné des nouvelles du bureau. Il faut dire que j’étais en formation trois jours puis en vacances une semaine, donc je n’y ai pas mis les pieds pendant quinze jours. A mon retour lundi matin, rien n’avait changé. Collègue Blonde était toujours telle le champ de blé. Spychopat spychopatait toujours dur. Le stagiaire ricanait toujours tout seul comme un idiot devant Doctissimo m’a tuer et la ML stagiaires. La chef était à sa place. Mon ordinateur m’attendait, bienveillant.

Il s’est passé plein de choses pendant que je n’étais pas là. Ou pas. La plus importante d’entre elles, c’est la rumeur de déménagement qui est (ré) apparue. Apparemment, le bail des locaux où nous sommes actuellement se termine fin 2012. On pourrait donc potentiellement déménager en janvier 2013. Le choc. Les nouveaux bureaux se situeraient en moyenne banlieue parisienne, après Issy-les-Moulineaux. Collègue Blonde nous a dit tenir l’info de son médecin (parce qu’on remplacerait nos locaux actuels par une clinique flambant neuve). Elle dit que c’est une source sûre. Spychopat a d’abord refusé d’y croire. Puis il a évoqué la prime de relocalisation. Collègue Blonde a mentionné le centre commercial tout proche. Je pourrai y dépenser ladite prime. Mais en vrai, je n’ai aucune intention de me relocaliser là-bas, thank you very much. Laissez-moi décomposer les raisons pour lesquelles j’ai choisi ce travail il y a un peu moins d’un an :

30% la localisation – accessible en métro (et en plus dans un coin relativement sympa, pas en zone industrielle glauque)

30% les horaires – je suis sensée finir à 18h30 maximum en temps normal. Malheureusement, depuis que les membres de l’équipe pourvus de jeunes enfants (et donc dépendants d’une nounou) ont quitté le service, c’est plutôt 19h30.

20% le salaire –impossible à négocier, mais il s’est révélé très correct.

10% l’ambiance de travail –bah oui, je les aime bien, quand même, mes collègues. Je suis bien encadrée et bien formée (aux techniques de consolidation, certes, mais je suis formée). Et il y a du moelleux au chocolat à la cantine (argument majeur).

Si je compte bien (huhu, c’est mon travail), cela nous donne 100% qui n’ont rien à voir avec le contenu de mon travail. Et 60% qui disparaîtraient en cas de relocalisation (dur d’avoir une vie après le boulot si tu termines à 19h30 et que tu as une heure et demi de transport après). Bon ben, je n’aurai plus qu’à concrétiser mon projet d’entreprise. Oh, comme c’est dommage. Not.

L’autre histoire passionnante du moment (et j’insiste, passionnante), c’est notre recherche de stagiaire. C’est tout un feuilleton à la Plus belle la life. Nous avons passé une annonce standard il y a deux mois sur tous les intranets d’écoles de commerce de France et de Navarre. En gros, on cherche quelqu’un pour « participer activement » à la production des comptes conso de l’entreprise. Il faut avoir une « sensibilité » aux normes comptables et aussi un « intérêt certain » pour la consolidation. Les qualités recherchées sont un bon niveau anglais, un bon relationnel, de la rigueur, du dynamisme, de la curiosité et un sens du travail en équipe. Maintenant, les vrais critères : il faut surtout ne pas avoir fait de fautes dans sa lettre de motivation, ne pas avoir mis de photo débile sur son CV (conseil : ne pas mettre de photo, c’est mieux), être sorti d’une école de commerce quelconque et être disponible pendant six mois minimum à partir de Septembre. Vous allez me dire : ça va, le niveau d’exigence est raisonnable. Détrompez-vous.

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Déjà, nous n’avons pas eu beaucoup de candidatures. A titre d’information, les gens du contrôle de gestion (de l’autre côté du couloir) ont reçu pas moins de 46 CV en une semaine, alors qu’ils imposent une année complète de stage chez eux au lieu de six mois chez nous. C’est terrible de voir à quel point la consolidation n’est pas sexy. Je ne comprends vraiment pas pourquoi.

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Parmi les quelques égarés qui nous ont répondu, nous avons retrouvé tous les cas de figure habituels :

- celui qui envoie un CV-type à toutes les entreprises et qui a oublié de modifier le nom dans la phrase « J’aimerais beaucoup avoir l’opportunité de travailler pour XXX »…

- celui qui fait des fautes d’orthographe à toutes les lignes de sa lettre de motivation.

- celui qui envoie CV et lettre de motivation en anglais alors que l’annonce est en français, simplement parce qu’il a la flemme de tout traduire.

- celui dont la photo est juste pas possible. Sérieusement. Rien à voir avec la couleur de peau, l’âge ou le sexe. Mais une coupe de cheveux pareille, ça ne s’est plus vu depuis 1981. Pourquoi, mais pourquoi mettre une photo dans ce cas-là ?

- à l’inverse, celui qui a également choisi d’envoyer une photo et qui est juste trop beau. Je précise que tous ces cas de figure se retrouvent chez les femmes comme chez les hommes. Là, il se trouve que c’était une fille, une petite blonde ravissante qui souriait de toutes ces dents à l’objectif. Spychopat l’a trouvée fort charmante et a suggéré illico que nous la recevions. Il l’a jugée « gracieuse » parce qu’elle avait indiqué comme loisir « natation synchronisée ». Stagiaire Actuel a boudé en lançant que « ça ne se fait pas, de mettre natation synchronisée sur son CV, c’est perturbant ». Traduire : ça suggère qu’elle est canon et donc c’est de la concurrence déloyale. Il nous a même dit : « C’est comme, pour un mec, mettre que tu fais du rugby ». Elle dit qu’elle ne voit pas le rapport.

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Parmi le petit lot de candidatures, nous avons finalement décidé de recevoir cinq candidats. Malheureusement, c’est tombé pile pendant mes vacances/formation, donc je n’en ai vu aucun. Mais Collègue Blonde m’a raconté. Le premier candidat n’a convaincu qu’à moitié, ma chef ayant peur qu’il s’ennuie avec nous : « il a l’air plus fait pour les relations publiques que pour la conso ». Je l’ai Facebooké par curiosité vu qu’il a fait non seulement la même école que moi, mais aussi la même association (avec plusieurs années de différences). Dommage pour lui, il avait oublié de bloquer ses photos. J’ai donc pu faire tourner une chouette photo de lui en train de danser sur un podium devant une armée de filles (oui, il est plutôt pas mal) à mes collègues. Spychopat a dit « C’est pas sympa, de lui faire ça ». Bah, c’est public ou c’est pas public ?

Sur les quatre autres candidats, deux se sont détachés : tout d’abord une certaine Fanny, 21 ans, qui avait un papa militaire, un grand-père militaire, un arrière-grand père mil… Bref. Elle a dit, et c’est une citation directe (enfin, je cite Collègue Blonde qui cite directement Fanny) : « Moi, Fanny, 21 ans, un mètre soixante-et-un, je veux mener des hommes ». En gros, elle voulait faire l’armée, une fois son école de commerce finie. Elle était, et là je cite ma chef, « très affirmative » et donc elle a fait peur à tout le monde. Dehors, Fanny. Ensuite, il y a eu le Breton : le préféré de la chef, qui a un faible pour les vieilles pierres, la pluie, les plages désertes et le beurre salé. De ce qu’on m’en a dit, il avait un super CV et était très sympa. Spychopat a donc essayé de le joindre au téléphone, plein d’enthousiaste, pour lui dire que nous le prenions. Pas de réponse. Malgré le message laissé sur le répondeur, quatre jours après, toujours pas de réponse. Tels des amoureux éconduits, nous sommes passés par différentes phases : la fausse joie. « Ca s’est super bien passé, on a trouvé notre stagiaire ! » Le doute : « Mais pourquoi il ne rappelle pas ? » Le déni : « Il a peut-être perdu son téléphone. Ou alors il est en vacances à l’étranger ». L’abattement : « C’est foutu, je te dis, c’est foutu ». La haine : « De toutes façons, il avait l’air sournois, ce Breton ! » Il a finalement rappelé pour nous dire qu’il allait en audit (autant dire chez Satan de notre point de vue), à quatre cents mètres de nos bureaux. Paix à ton âme, Breton.

Au fond du trou, nous avons examiné les CV qui restaient. Pas brillants. Nous n’avions plus courage de nous relancer dans un épuisant processus de passage d’annonce, d’entretiens et tutti quanti.

Du coup, on a rappelé le beau mec qui podiumise, et il a accepté.

Devinez qui est contente ?

Rédigé par Nombre Premier

Publié dans #Vie de bureau

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