Adopte une fille
Publié le 15 Juin 2012
Cher gars,
Merci pour ton message de l’autre jour. J’avais déjà reçu ton « charme », et en cliquant je suis tombée sur toi et ton polo bleu marine, l’œil luisant et songeur dans la demi-pénombre d’une chambre typiquement masculine. Comme tu n’avais l’air ni repoussant ni psychopathe, je me suis décidée à te donner l’autorisation de me parler. Sans grande conviction, je dois l’avouer. C’est assez difficile de s’enthousiasmer pour quelqu’un sur simple lecture d’un profil des plus banals. J’ai bien noté que tu aimes Wes Anderson et Bon Iver, que tu recherches une fille sympa et que tu vis seul sans chat ni chien. J’ai envie de dire : « Mais encore ? » C’est là que nous sommes donc sensés nous ouvrir l’un à l’autre par messagerie interposée, apprendre à nous connaître, voire commencer à nous séduire. Tu as pris l’initiative de par ton mail de l’autre jour. Je dois te l’avouer, le ton m’a surpris. Ca change des approches habituelles. Du coup, je me suis prise au jeu. Voici donc une réponse honnête, sans fioritures ni mensonges. Brut de décoffrage.
Tu n’es pas Thor. Ca tombe bien, je ne suis pas Scarlett Johannsson. J’ai, comme on dit pudiquement, des formes. J’ai cliqué « pulpeuse » dans la case décrivant ma silhouette. Bon, je suis un peu grosse quoi. Moi, ça ne me pose pas de problème. Mais au cas où ça t’en pose un à toi, je préfère te le dire d’emblée, pour t’éviter une déception ou la culpabilité de cesser tout contact après notre potentielle première entrevue. Par contre, je suis toute petite, et le mètre-quatre-vingts, je m’en tape complètement. J’espère que tu n’es pas un de ces fétichistes qui ne recherchent que des brunes aux yeux bleus ou des blondes à tâches de rousseur. Je trouve ça un peu flippant. Pour info, j’ai les yeux marron et je me ronge les ongles. Et je ne m’épile pas intégralement non plus. Je laisse ton dos tranquille, tu acceptes mes lèvres poilues : deal ?
Bon sinon, ce que je recherche aujourd’hui. Je n’en sais fichtre rien non plus. Ta proposition de non-emmerdement mutuel m’a fortement interpellé. Ca me paraît être une excellente idée. Je ne suis pas contre un plan cul non plus, évidemment. Mais j’aimerais bien quelqu’un avec qui aller au ciné le dimanche soir, aussi. Je peux bien sûr y aller avec mes copines, mais bon, le film est toujours mieux quand je sais que je vais faire l’amour après.
Parlons-en, de mes copines : ce sont des filles chouettes. Elles sont drôles, intelligentes et intéressantes. Je les vois assez souvent et je ne t’imposerai pas leur présence. J’apprécierai que tu fasses de même avec tes amis. Par contre, ça serait bien que tu viennes une fois par mois environ à un dîner ou une soirée quelconque. Qu’elles mettent un visage concret sur un pénis régulièrement décortiqué au-dessus des Apple Mojitos.
Mes parents habitent en proche banlieue verdoyante, mais ce n’est pas pour autant qu’on ira les voir tous les dimanches. Moi non plus, je n’aime pas spécialement le RER B et l’après-midi causette dans le salon. Par contre, j’aime bien les petits week-ends surprise, les virées à deux, à Londres ou en Picardie, les petits-déjeuners apportés au lit et les cadeaux inattendus et désintéressés. Si nous décidons de sortir ensemble, je ferai toutes ces petites choses pour toi, amoureuse ou pas. Ca n’a rien à voir. Une nuit dans un hôtel de charme en Normandie est toujours agréable, avec ou sans sentiments. J’apprécierai que tu saches jouer le jeu également, peu importe ce que tu ressens pour moi. Sinon, autant prendre un chat.
Par contre, petite précision : tu n’es peut-être pas mon psy, mais je ne suis certainement pas ta mère. Tes angoisses existentielles, tu les règles tout seul. Je ne suis pas là pour te rassurer sur ta calvitie naissante ou pour t’assurer que ce n’est pas ta faute si ça ne se passe pas bien au travail. La confiance en soi, ça se travaille. Je le sais, j’en suis née dépourvue. Idem pour les talents de planification. A force de serrer les dents et me botter les fesses, j’arrive à remplir ma déclaration de revenus à temps et à prendre mes billets de train pour cet été deux mois en avance. A dix-sept ans, tu m’aurais demandé ce que je recherchais chez un homme, j’aurais répondu : « De la passion, de la fougue, du romantisme ». Maintenant, c’est plus « Une capacité à prévoir au-delà de la fin de la semaine, de la fiabilité, un sens de l'organisation ». A propos, tant que j’y pense : la fidélité est dans mon cas malheureusement non négociable. Je sais que ça arrive, les baisers que l’on regrette après quelques verres tardifs. Mais pas trop souvent et pas plus loin, merci.
Mais sinon, je suis une fille marrante, je t’assure. J’imagine que le portrait que je viens de te faire te donne l’image d’une mégère acariâtre, l’archétype de la harpie. Pas du tout. Va jouer au foot ou à la console avec tes potes, pas de souci. Je t’écouterai parler planche à voiles ou bandes dessinés pendant un laps de temps relativement conséquent en faisant semblant de m’y intéresser. Je veux bien cuisiner le plus souvent, si tu fais la vaisselle. J’ai deux ou trois ensembles sexy dans ma penderie et je suis plutôt réceptive à toute idée neuve dans le domaine de la chambre à coucher. Détail important : non, je ne veux pas me marier ni avoir d’enfants tout de suite. Un jour non déterminé, l’envie viendra sans doute. Ca va, cette perspective est assez floue pour ne pas trop t’angoisser ?
Bon, je crois que je t’ai tout dit. Je te laisse me proposer un premier rendez-vous dans un « petit bar sympa que tu connais », où nous pourrons boire pour noyer notre gêne et essayer de voir si nous sommes compatibles sexuellement. Tu as raison, je crois qu’on a vraiment beaucoup de points communs.
PS : pour l’automne prochain, je partirai bien en Turquie. Mais si j’organise ça, tu prévois un week-end surprise au Touquet un de ces quatre. Je te laisse le choix dans la date.