Anatomie du stagiaire
Publié le 7 Septembre 2011
Les stagiaires. Par où commencer ?
Déjà, par ceux qui sont stagiaires. Je vous aime. Vous êtes mes amis, pour certains d’entre vous. J’ai été stagiaire, pendant de longs mois. Je sais que quand tu es stagiaire, tu veux qu’on te donne des trucs intéressants rapidement, sans que tu sortes après 19h30. Je sais aussi que ton environnement de travail idéal consiste en des beaux gosses et des bonnasses, un open space fun et coloré (mais où personne ne voit ton écran), et du café à volonté.
Guess what ? Quand tu es (enfin) embauché, tu veux les mêmes choses.
Sauf que tu t’es fait une raison et que tu es tout résigné à l’intérieur.
Mais à l’extérieur, tu es jeune, dynamique, et toujours prêt à Exceller (ou Powerpointer).
Parce que tu dois à présent encadrer des stagiaires.
Des gens encore plus jeunes et dynamiques, qui veulent aussi faire leurs preuves alors que tu n’as pas fini de faire les tiennes.
Il y a plusieurs sortes de stagiaires. Tout comme il y a plusieurs sortes de jeunes diplômés (mais c’est une autre histoire). Les encore-stagiaires, n’hésitez pas à me pourrir en commentaires, pendant votre douzième pause clopes de la journée (blague) !
- Le stagiaire qui ne tient pas en place
J’en ai un comme ça en face de moi à ce moment précis. Il est arrivé hier dans le service, son costume fraîchement sorti du pressing, ses chaussures bien cirées, ses joues glabres encore luisantes de son nouvel après-rasage spécial grand garçon. Au début, il a fallu créer ses codes d’accès, lui montrer les gens, le bureau, la cantine, faire le badge etc, donc ça va, il était occupé. Mais là, il est bien installé. On l’a un peu formé, mais on n’a pas que ça à faire non plus, donc il n’a pas grand-chose à faire. Et là, au lieu de glander bien gentiment sur Internet en profitant de ses derniers instants de liberté, il est au bord de l’apoplexie. Il tressaute sur sa chaise, il tapote le bureau avec son BIC, il prend dix cafés par jour, il vient se planter derrière moi en disant « Je peux t’aider ? » Non, tu ne peux pas. On lui a répété plusieurs fois que c’était « une période creuse », que « bientôt, tu auras plein de trucs à faire ! » Mais rien n’y fait, l’inactivité a l’air de beaucoup le perturber. Pour le calmer, j’ai laissé entendre qu’on pourrait éventuellement l’affecter à des travaux d’archivage bien relous (je prends un classeur de 2008, je sors tous les papiers du classeur, je les mets dans une boîte en cartons, je range la boîte en carton…) Il a bondi de sa chaise comme un ressort et j’ai dû lui dire de se rasseoir, que je ne voulais pas dire « tout de suite tout de suite ». Tout déçu, il m’a dit « Bon ben moi en tous cas, je veux bien, tout plutôt qu’avoir rien à faire comme ça… » Mec, va faire un tour sur 9gag et Slate comme tout le monde, et arrête de te stresser.
- Le « Je sais pas, je suis stagiaire »
Dans son opinion, la philosophie de la condition de stagiaire tient en cette phrase : « Je sais pas, je suis stagiaire ». Dès qu’on lui pose une question directe ou qu’on lui demande son avis, il roule des yeux comme un épileptique devant Nyan Cat, se tord nerveusement les mains dans tous les sens et répond le fameux « Je sais pas… » Bon, on a tous été ce stagiaire-là. Il est vendredi matin, il y avait un afterwork au Queens la veille, d’ailleurs comment il s’appelait le brun ? Et le blond ? Bref, c’est un peu dur. Tu comates paisiblement devant ton écran en cliquant de temps en temps sur la souris pour faire genre. Et là, paf, ton boss, qui a pourtant deux enfants de un et trois ans plus un chat qui met des poils en partout, vient te voir toute sautillante, le dossier Truc sous le bras. « Dis, tu te rappelles, pour le projet Bidule, comment tu as sorti les chiffres avec Machine ? Parce que je ne comprends pas bien votre méthode… » Ca tombe bien, toi non plus tu n’as pas compris. Sauf que tu n’as jamais pensé à demander que l’on t’explique. Ca devait être un autre matin difficile. Bref, tu ne peux pas répondre. Alors, au lieu d’essayer d’inventer quelque chose, tu préfères être honnête : « Je sais pas… » Lueur de déception et de « tous les mêmes » dans les yeux de ta chef. Mais au moins, tu ne lui fais pas perdre son temps (et tu peux glander tranquille).
- Le stagiaire-Club Med
Il voit l’entreprise comme un terrain de jeu géant où il a plein de copains, berné par les RP de Google, Innocent et autres boîtes estampillées « cool ». Quand il débarque dans son premier stage, même si c’est en industrie lourde (comme dans ma boîte), il tape la bise aux gens le matin (avant de se faire poliment rembarrer). Il fait des blagounettes sur ses soirées d’école de commerce sans se rendre compte qu’ici, personne n’avoue son alcoolisme mondain. Il engage spontanément la conversation à la machine à café, alors qu’on se parle deux fois par an entre services. Bref, il ne respecte pas les règles, parce qu’il ne les maîtrise pas encore mais aussi par choix. L’avantage, c’est que c’est un électron libre, qui finit par connaître un peu tout le monde. L’inconvénient, c’est qu’il passe pour un gros glandeur, voire un relou. Pour ses condisciples stagiaires, il est surtout utile : c’est lui qui lance des mailing lists de trente personnes, qui organise les déjeuners au bistrot du coin ou qui propose des verres après le boulot. Quand il part, personne ne veut reprendre son rôle, et c’est dommage. Il en faut un, de Grand Organisateur.
- Le stagiaire-fantasme
J’utilise le pronom « il », mais le fantasme peut être masculin ou féminin. Quand il est entré dans le bureau le premier jour, les yeux se sont écarquillés, les mains sont devenues moites et tout le monde a avalé sa salive. Hot. Il est juste tellement hot. En plus, il a le charme de la jeunesse (sugar daddies et cougars, bonjour). Il ou elle se balade dans tout l’étage dans son petit pantalon moulant, dans sa petite robe ajustée, en secouant sa crinière et en dévoilant ses dents parfaites. Rrrrr. Même la mégère locale ou le râleur notoire répondent à ses questions idiotes (c’est un(e) stagiaire) avec des trémolos dans la voix. La nature est injuste.
- Dédé-la-glandouille
Dédé, c’est tout un poème. Personne n’a jamais compris pourquoi il avait entrepris de chercher et de trouver un stage, vu que son seul but dans la vie semble être de ne pas en foutre une rame. Il est tellement glandos qu’il ne va jamais terminer son rapport de stage ; il ne le validera donc jamais. Mais en attendant, il occupe un fauteuil confortable pour six mois près du radiateur et il est déterminé à le quitter le moins possible. Quand on lui confie une tâche, il fait un grand sourire benêt comme s’il était ravi. Rasséréné, on se dit « Chouette, en voilà un jeune motivé et travailleur, comme je suis content de le compter parmi mon équipe ! » Et puis trois jours après, on vient aux nouvelles, et devant l’unique slide ou le pauvre tableau Excel qu’il a bidouillé à la dernière minute, un grand découragement nous prend. Mais on est coincé avec lui pour six mois, donc on essaie de prendre notre mal en patience et d’améliorer les choses. Au bout d’un moment, on lui confie moins de sujets, vu qu’il ne progresse pas. On l’oublie un peu, quoi. Il a tout fait pour prendre une place qui cache son écran aux autres, donc il surfe allègrement toute la journée. Il va jouer à Fashion Victime sur son Iphone aux toilettes, quand il n’y fait pas sa petite sieste réglementaire post-déjeuner. Il est toujours scrupuleusement à l’heure et part en même temps que tout le monde, mais il occupe ses sept heures de boulot quotidiennes à ne rien faire. C’est un art de vivre. Dédé-la-Glandouille, philosophe moderne!