Arriver quelque part

Publié le 9 Octobre 2013

Pourquoi la vie ce n’est pas Poudlard. Pourquoi on ne vit pas tous dans de grands pensionnats, logés nourris blanchis, où l’on nous occupe l’esprit et le corps, où l’on nous promet que tout ira bien. Pourquoi on est lâché comme ça dans la nature, à devoir se prendre en charge et en main. J’ai jamais demandé à être perdue. J’aurais bien voulu un cadre, parfois.

Tu vois, avant, je me dis que la structure de la vie était plus simple. Tu voyais à peu près où tu allais. Tu pouvais regarder devant et derrière sans trop prendre peur. Tu allais à l’école, ou pas, tu travaillais, tu te mariais, tu voyageais peu, tu faisais des enfants. Tu devenais vieux, tu ne mourrais pas trop tard, avant d’avoir eu le temps de prévoir des croisières sur le Nil pendant ta retraite. Il y avait des exceptions, bien sûr, mais le gros du troupeau suivait le fil.

Tu te doutes bien que j’ai pas spécialement envie de devoir trimer dans les champs toute la journée où d’être coincée à vie avec un mari de vingt ans de plus que moi que je ne peux pas encadrer. Par contre, j’ai bien envie qu’on me donne un chemin à suivre. Au moins des panneaux, un indice, quelque chose. C’est trop dur de s’orienter tout seul. Il y a trop de voies possibles, trop de sentiers qui ne mènent nulle part, trop de chemins de traverse que tu aperçois au loin à travers les futaies. Mais tu sais que tu n’auras pas le temps de tous les parcourir. Tu galopes tant que tu peux sur ta petite allée de gravier, mais tu dépasses les embranchements sans jamais avoir l’occasion de les suivre. Quand tu oses enfin t’y lancer, tu y vas avec une peur bleue de le regretter. Il y a des pierres qui bloquent le chemin, un panneau qui annonce un risque d’éboulis. Il y a un à-pic sur le côté sans garde-fou pour te retenir. Bien souvent, tu finis par faire demi-tour.

Tu restes sur tes graviers, même s’ils te font mal au pied, même si le chemin monte de plus en plus et qu’il y a de moins en moins d’ombre. Le soleil tape et tu te demandes où tout cela va te mener. Si tu as bien fait de partir par là. S’il est encore temps de revenir en arrière. Mais en fait il n’est plus temps, il n’a jamais vraiment été temps. La seule solution, c’est d’avancer. Tu te hâtes sans trop savoir pourquoi, tu connais bien le dicton, L’important ce n’est pas la destination, c’est le voyage. Mais le voyage est raté dans ce cas précis, tu préfèrerais être chez toi dans ton canapé, tu préfèrerais ne jamais être parti, si c’est pour mettre un pied devant l’autre sur une bande de cailloux qui n’en finissent pas de crever tes semelles.

Pourquoi on ne t’a pas donné une carte ? Pourquoi personne n’a pensé à mettre des panneaux deci delà ? Tu n’es pas géographe. Tu es aussi perdu qu’un petit enfant. Tu regardes autour dans l’espoir que des gens sachent où aller. Mais tout le monde avance à l’aveuglette, à pile ou face. Chaque bifurcation ignorée devient un regret brûlant, chaque chemin annexe dépassé un doute profond. J’aurais dû. J’aurais pu. Si j’avais su. Pourquoi j’ai pas. Pourquoi je suis là.

En fait c’est pas tant le gravier, le problème. C’est pas tant le soleil de plomb ou la pente raide. C’est l’incertitude et la sensation de lutter en permanence. J’aimerais qu’un monsieur à barbe vienne me prendre par la main et me montre un chemin : Tu vois c’est là ta voie, c’est par là que tu dois aller. Après je pourrai courir des kilomètres, je pourrai gravir des montagnes et traverser des fleuves, si j’avais la certitude d’avancer dans la bonne direction. J’aimerais bien savoir où aller. J’aimerais bien que quelqu’un puisse répondre à mes questions.

En attendant ce sont des regrets et des doutes, souvent. Ca n’empêche pas d’avancer et de faire des projets, mais ça empêche de bien dormir la nuit. Ca empêche d’être serein, détaché. Ça donne des gens angoissés, anxieux, désespérés d’exister. Des gens qui parlent trop fort et qui boivent trop. Des gens qui ne supportent pas d’être seuls. Des gens qui ont peur de manquer, de rater, d’être oubliés. Et qui manquent des choses, en ratent d’autres et oublient tout. Des gens qui mettent un peu d’eux-mêmes sur Internet, pour palier au vide de la vraie vie. Des gens qui filent comme le vent en laissant la frénésie du quotidien étouffer les questionnements sans réponse. Des gens qui vivent ou plutôt se débattent dans des problèmes métaphysiques dont ils n’ont que rarement conscience.

Je veux bien travailler, voir mes amis, payer mes impôts, appeler mes grands-parents, acheter un appart, m’installer avec lui, faire de la musique, prendre un chat et partir au soleil.

 

Mais j’aimerais quand même bien arriver quelque part à la fin.

Rédigé par Nombre Premier

Publié dans #Ma life

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