Assassin de la Cosmopolis
Publié le 28 Mai 2012
Ce week-end, il faisait beau, Paris sentait bon le sable chaud. J’ai passé des heures en journée et en soirée à regarder passer les bateaux-mouches au pied du Pont des Arts en leur faisant signe de la main et en sirotant du Coca Zero ou du vin blanc tiède. Le bonheur. Un week-end parfait, en suspension, des vacances anticipées.
Jusqu’à hier soir, où j’ai eu la bonne idée d’aller voir Cosmopolis, le film de David Cronenberg adapté du roman de Don De Lillo.
David, je l’aime bien. Il a réalisé l’assez bon A History of Violence et le très regardable Les promesses de l’ombre. Elle ne s’annonçait donc pas trop mal, cette séance tardive au MK2 Bibliothèque. Certes, il y a Robert Endive malcuite Pattison dedans. Bon. Laissons-lui une deuxième chance : Twilight n’était peut-être qu’une erreur de jeunesse ? Et puis le film commence, et assez rapidement, tu te dis que tu as fait une erreur. Par « assez rapidement », j’entends un petit quart d’heure. C’est à partir de ce moment-là que des gens se sont mis à quitter la salle, toutes les vingt minutes environ.
David nous raconte donc l’histoire de Bob. Bob a des lunettes de soleil noires et un costume chic (mais il porte un T-shirt sous sa chemise, faute de goût impardonnable). Bob a toujours un teint d’endive pas cuite et une coupe de cheveux ridicule (il a opté cette fois pour la raie sur le côté gominée). Du coup, Bob décide que sa mission du jour, c’est d’aller chez le coiffeur. Il s’en fout que le Président des Etats-Unis soit en visite officielle et que le trafic soit infernal. Imperturbable, il s’engouffre dans sa limousine blanche et c’est parti mon kiki.
J'suis un beau gosse. Et je fais la moue comme Kim Kardashian.
En fait, la limousine de Bob, c’est un peu comme la rue Saint-Anne pour moi : c’est sa deuxième maison. Il y fait tout, tout, absolument tout. Ses rendez-vous d’affaire, d’abord : Bob est un multimilliardaire de 28 ans, un peu à la Zuckerberg mais dans le secteur boursier. Il a peur d’être sur écoute et il est inquiet parce que le yuan se dévalue. Ok. Soit. Le spectateur n’a pas plus d’indications sur ce que fait vraiment l’ami Bob dans la vie. Assez rapidement par contre, on apprend qu’il est tout juste marié à une poétesse blonde richissime gaulée comme une bimbo. Bien ouej, Robert. Seul souci : la demoiselle est fortement misanthrope et pas très portée sur la chose. Bob est donc obligé de revoir de vieilles copines (au sens littéral du terme : il couche avec Juliette Binoche dans sa fameuse limo. Juliette, ma grande, prends tes affaires, rhabille-toi et file. You can do better than that). Ou bien il cabriole avec sa garde du corps (également gaulée comme une gogo danseuse). Le garçon sait s’entourer.
Tu peux sortir tes mains de tes poches, Robert, c'est mort, je te dis que j'ai pas envie ce soir.
Quand il ne baise pas à droite ou à gauche, Bob essaie de convaincre sa femme de baiser, mais c’est pas gagné. Il est tellement persuadé d’être supérieur aux autres qu’il lui semble impossible de mener une simple conversation. Il essaie de discuter avec sa copine (tout aussi asociale que lui) et tous deux s’interrogent pour savoir si « c’est ça, une conversation normale ». Ah, la fabuleuse conception des « gens normaux » que l’on prête souvent aux très riches et très puissants dans les films. Bob et ses semblables vivent tellement coupés de la réalité qu’ils ne savent plus se comporter en êtres humains simples et spontanés. Mais la normalité n’existe pas plus au-dessous du Smic qu’au niveau de l’ISF. Une conversation normale, ça ne veut rien dire. Qui sait vraiment ce que se disent les couples assis deux par deux au restaurant ? Tout le monde construit son truc dans son coin en essayant que ça marche, sans se préoccuper du voisin. Les seuls qui essaient d’être « normaux » sont ceux qui s’excluent d’emblée du commun des mortels. Moi, Robert, je te complimente sur tes bijoux et j’essaie de parler d’une pièce de théâtre parce que c’est ce que je suis censé faire par construction sociale. Et aussi parce que je n’ai rien d’autre à dire de toutes façons.
Si, tout de même, je le reconnais : Bob a des tas de choses à dire. Il ne fait que parler, en fait. Lui et tous ceux qui l’accompagnent. Personne ne sait se taire une seconde dans ce film, c’est incroyable. Et il faut voir les conversations. J’imagine que c’est le genre de discussions qui peut avoir lieu à quatre heures du matin, dans une piaule d’étudiants, avec des joints qui tournent et du trip-hop en fond sonore. L’argent, ça fait le temps, tu vois. C’est ça le concept fondamental du capitalisme. Il nous vole notre présent en nous forçant à penser au futur. Tu sais ce que c’est, une nanoseconde ? Ouais, c’est 10-9 secondes, ok, mais c’est surtout la preuve qu’il faut être super précis quand tu essaies de décrire la réalité, quoi. Quel rapport ? Bah je sais pas, mais c’est plutôt cool. Ya des zeptosecondes, aussi. Dingue, non ? Ou bien C’est pas évidement d’être un visionnaire. Plus ta théorie est audacieuse et nouvelle, moins les gens la comprennent et plus elle le fait peur. Ouais, je sais que c’est évident, mais je trouve qu’elle me donne l’air cool, cette phrase. Surtout quand je la prononce en buvant de la vodka on ice à petites gorgées, pendant qu’une manif agitée secoue ma limousine. Pendant le trajet sans fin de Robert dans Manhattan, des émeutes éclatent, menées par des gens encapuchonnés qui dénoncent le « sceptre du capitalisme » et trimballent partout une statue de rat géant, sûrement pour dénoncer un truc, genre « à bas le capitalisme » ou « nettoyez les rames de métro, c’est dégueulasse », on ne sait pas bien. Du coup, Bob se fait tagguer sa limo et se fait secouer comme un prunier, mais il s’en fout, la voiture est blindée. Et comme il est l’archétype du riche trader désabusé (Patrick Bateman un grand coucou, s’il te plaît, viens sauver ce film), il ignore totalement ce qui se passe autour de lui. A part le yuan, bien sûr. Qui continue de baisser.
Un rat géant? Il faut vraiment que j'arrête la vodka.
Aussi, l’ami Robert est très préoccupé de sa santé. Encore un maniérisme à la mode chez les multimillionnaires. Un docteur l’examine donc tous les jours et lui fait un examen complet quotidien, dont palpation de la prostate. Ca tombe bien, l’une des collaboratrices de Bob est venue parler boulot. Elle a donc la chance d’avoir le visage crispé de Robert sous les yeux pendant qu’il se fait tâter l’arrière-train par son docteur. Le rêve de tout employé, quoi.
Pour la petite histoire, la prostate de Bob est asymétrique. Vous allez me dire, on s’en fout. Oui, mais si on raisonne comme ça, alors on s’en fout de toute l’intrigue, vu que rien n’a de sens dans ce film, et surtout pas les dialogues pseudo-philosophiques. Ni le fait que Robert assassine son garde du corps sur un coup de tête sans que l’on ne sache pourquoi. Ni le fait qu’il aille enfin se faire couper les cheveux mais qu’il se casse en plein milieu pour aller au dépôt de limousines. Là, il tombe enfin sur l’individu isolé et menaçant que son garde du corps n’a cessé de guetter toute la journée (et il en a été bien récompensé). Bob décide donc d’aller à sa rencontre tout sautillant, un sourire benêt sur les lèvres. Mais oui, c’est connu. Les très riches, c’est très blasé, en manque d’émotions. Ca veut juste vivre, quoi. Donc ça fait des trucs très cons, comme pousser la porte de l’appartement d’un potentiel tueur, juste pour se donner des frissons. Une vision extrêmement datée des 1% de la population mondiale. On la trouve surtout dans l’esprit des années quatre-vingts, avec l’avènement des yuppies. Je pense à Tom Wolfe et son Bûcher des Vanités, à American Psycho de Brett Easton Ellis bien sûr, ou au premier Wall Street d’Oliver Stone. Des traders conquérants, un Manhattan rempli d’arrivistes qui s’ennuient et qui se posent des questions existentielles en ignorant le reste du monde. Mais tout ceci n’est plus vraiment d’actualité. Depuis, il y a eu le 11 Septembre, et le reste du monde ne se laisse plus ignorer. Il y a eu et il y a toujours la crise financière, et les certitudes du capitalisme sont ébranlées. Et bien sûr, il y a et il y aura toujours des gens très riches et très superficiels, mais ceux-là n’ont plus forcément assez de recul ou assez d’attentes de la vie pour s’ennuyer. Enfin, dans les grandes lignes.
Bref, au final, Bob se lance dans une longue discussion avec le mec qui l’a pris pour cible. Il se révèle être un ancien employé qui travaillait sur la monnaie thaïlandaise. Cool. Pâle copie de Bateman (encore et toujours), Machin l’employé évoque des aspects triviaux de la vie courante pour expliquer son envie de faire un truc fou, comme tuer son boss par exemple. Bob argumente patiemment, mais je ne saurai vous dire de quelle manière, je crois que j’étais trop occupée à compter les gens qui quittaient la salle. Puis Robert doit encore s’ennuyer, parce qu’il se tire volontairement une balle dans la main, pour voir comment ça fait j’imagine. Machin éponge le sang et ils découvrent qu’ils sont tous les deux une prostate asymétrique. Incroyable. Moi je pensais qu’ils allaient se chopper dans la foulée, ce qui aurait été une bonne fin, mais non. Machin finit par braquer son flingue sur le doux visage de Robert. Quel suspense insoutenable ! Malheureusement, écran noir, générique de fin : nous n’en saurons pas plus.
"Vous me forcez à être responsable et je n'ai pas ça" (citation directe du film). Pour la peine, je vais m'exploser la main.
Oh, David, pourquoi nous avoir infligé ça ? C’est assez nul. Mais possiblement, le roman aussi est assez nul. Mathieu Amalric tient un tout petit rôle : pourquoi ? Tu aurais dû t’abstenir. Robert, une bonne fois pour toutes : tu n’es pas un sex-symbol, vraiment, je ne sais pas ce qu’elles te trouvent. Mais ça, ce n’est pas grave. Ce qui est plus embêtant, c’est que tu n’es vraiment pas un bon acteur. Tu es mono-expression, tu n’as pas plus de jeu qu’une pousse de radis, et pourtant, on a envie de te mettre des gifles à toute volée tellement tu es agaçant. Voilà. Ca va mieux en le disant ! J’attends encore plus de Prometheus mercredi du coup. Je ne suis pas sûre de pouvoir survivre à un deuxième film du niveau de Cosmopolis.