Be my valentine

Publié le 14 Février 2012

Petites poupées, P.O.U.F

 

Ce soir, j’ai décidé que ce serait spécial. Spécial comme dans les films. J’en ai marre de la vie quotidienne, le ballotage entre deux eaux, les habitudes qui anesthésient doucement. La routine est l’ennemi du couple. Tout le monde le dit. Il faut se surprendre, savoir redonner envie. J’ai envie de te donner envie.

Ce week-end, tu m’as demandé si je voulais faire quelque chose pour la Saint-Valentin. Je sais que tu aurais dit oui à tout, un restaurant, une nuit à l’hôtel. Un moyen facile de faire plaisir, de manifester ton intérêt, de participer. J’aurais bien aimé que tu me prévois une surprise, que tu organises tout pour changer. C’est toujours moi qui dois prendre les choses en main, les vacances, les week-ends, et maintenant ça. Mais j’ai l’habitude. Et peut-être qu’au fond, j’aime bien tout contrôler.

Parce que ça veut dire qu’on fait exactement ce que je veux. Et je n’ai envie ni d’un resto, ni d’un hôtel. J’ai envie d’une soirée en amoureux à la maison. On se croise sans arrêt la semaine. Je sors tard du travail, tu sors avec tes potes, ou vice-versa. Arrivée à la maison, je dîne en vitesse et je me mets au lit avec un bouquin ou une série. Tu rentres, on parle, on fait l’amour et on s’endort. Je ne suis pas malheureuse, tu le sais bien. C’est juste que je ne sais pas si je suis heureuse. Je croyais que le bonheur, c’était quelque chose de fort, pas quelque chose de doux.

Du coup, ce soir, on va passer une soirée un peu différente, une soirée qui joue à être parfaite. Je suis sortie tôt du travail pour cuisiner. J’ai trouvé une recette sur un forum, je voulais un plat à base de viande, pour te faire plaisir. Mais cuisiné léger, avec des couleurs, quelque chose que je servirais à quelqu’un que je voudrais séduire, dans les premiers moments d’une histoire. Avec un vrai dessert soigneusement préparé, qui a le goût de l’emportement, de la tendresse, de l’excitation, et pas celui des non-dits ou des compromis.

Et puis, j’ai rangé l’appart. J’ai râlé, tu sais. Tes T-shirts en boule au pied du lit. La salle de bain que tu ne veux jamais nettoyer. J’ai fait la vaisselle, jeté les magazines qui traînaient. Mais même propre, l’appartement avait toujours son air habituel. J’ai essayé de le rendre spécial et intimiste, propice à des conversations tendres et à des mots chuchotés. Je sais bien qu’ensuite, tout basculera sur le lit, mais tu vois, c’est de ça dont j’ai vraiment envie ce soir. Que tu me dises que tu m’aimes, que tu déroules des niaiseries. Je veux me rappeler pourquoi nous avons un appart ensemble, une vie ensemble, des projets communs. Pourquoi je prends sur moi quand ça ne va pas. Pourquoi je n’ai pas déjà jeté l’éponge et pourquoi j’accepte de partager tes emmerdes. Ce n’est pas grand-chose, une soirée d’attentions et de romantisme forcé, mais ça pourrait faire la différence. C’est sans doute bête de mettre autant d’attentes dans un évènement défini à l’avance par le calendrier des postes. Et d’attendre son shot de romance avec le même empressement que le junkie du square.

Enfin, une fois le plat mijoté et le ménage terminé, je me suis occupée de moi, pour toi. Je me suis lancée dans la vaste entreprise de me faire belle. Centimètre carré par centimètre carré, j’ai ausculté ma peau, enlevé mes poils, hydraté mon épiderme, verni mes ongles, blanchi mes dents, râpé mes talons, gommé mes cuisses, nettoyé mes oreilles, lavé mes cheveux, épilé mes sourcils, maquillé mon teint, mes yeux, ma bouche, parfumé mon cou. Avec un soin de maniaque et une passion de rénovateur de cathédrale, j’ai dissimulé les imperfections et mis en lumière les atouts. En me regardant dans la glace au-dessus du lavabo, éclairée par le néon lapidaire, je me trouve jolie. Je crois.

Ce soir, j’ai envie que tout soit spécial, même le sexe. J’ai acheté un ensemble la semaine dernière, en espérant qu’il te plaise. Je sais que tu aimes le rouge, tu me l’as dit une fois. La vendeuse, tirée à quatre épingles, m’a initiée aux guêpières, aux corsets, aux porte-jarretelles. Tout l’attirail de la féminité fatale, offerte et dominante à la fois. Elle m’a aidée à enfiler une guêpière brodée, assez sobre, d’un rouge carmin. Dans la glace, une femme est soudain apparue, une femme de films porno et de publicités de lingerie. Une femme qui cherche à plaire, qui est là pour ça. Cette femme-là, est ce qu’elle te plaira ?

J’achève de fermer les crochets dans mon dos, et j’enfile mes bas rehaussés de dentelle, en m’appliquant pour ne pas les filer. Je pense à toutes ces femmes qui, au même moment, quelque part dans Paris et ailleurs, se perchent sur leurs hauts talons, ajustent leur rouge à lèvres enjôleur et parfument leurs crinières de sex-symbol. Toutes, il faudrait nous aligner en rangs d’oignon, engoncées dans nos tenues des grandes occasions, la poitrine en avant et les fesses bombées, prêtes à nous transformer en déesses du sexe après avoir reçu la litanie des mots tendres. Combien de filles vont faire semblant de jouir ce soir, vont se déshabiller d’un air faussement timide devant un homme excité par ce tissu nouveau, combien vont se tortiller plus que de coutume, jeter des regards langoureux et pousser des cris plus aigus que d’habitude ? Je pense à mes sœurs, à mes jumelles. C’est l’amour que nous célébrons et que nous ferons ce soir. Mais au fond, je crois que c’est plutôt la guerre.

Rédigé par Nombre Premier

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