Camille redouble

Publié le 17 Septembre 2012

Jeudi soir, je suis allée voir Camille Redouble, de et avec Noémie Lvovsky. J’y allais avec une amie, en mode « trop bien, on va voir la maman géniale des Beaux gosses, on va rigoler, un bon film du vendredi soir quoi ! » J’ai réalisé à peu près à la moitié de la pellicule que clairement, je m’étais trompée sur toute la ligne. Pas que Camille redouble soit un mauvais film, au contraire. Un film du vendredi soir, tu l’oublies aussitôt sorti de la salle. Pourtant, on est lundi matin et j’y pense toujours, en trame de fond. C’est un excellent film, fin et sensible, qui a résonné en moi comme je n’aurais jamais pu l’anticiper.

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Le pitch est simplissime : Camille a la quarantaine et rien ne va. Elle divorce dans la douleur de son premier amour, elle boit beaucoup trop, elle a perdu de vue ses ami(e)s, sa vie se délite lentement, et ne prend pas du tout la direction qu’elle avait imaginée. Elle est paumée, Camille. Le soir du nouvel An, il lui arrive quelque chose de magique : elle s’évanouit et elle se réveille dans la peau de ses seize ans, un premier de l’An quelques vingt-cinq ans en arrière.

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Elle retrouve, incrédule, ses parents, sa chambre d’ado, le lycée, ses potes et son premier amour/futur mari. Je ne vous raconte pas tout parce que sinon c’est pas drôle et vous n’allez plus vouloir y aller. On rit beaucoup à ce moment-là du film : Nena et ses 99 Lutfballons en bande originale, c’est forcément poilant. On partage l’excitation et la joie de l’héroïne, qui retrouve son adolescence, celle qu’on fantasme tous un peu, même quand elle n’a pas été toujours rose, les posters au mur, les looks improbables et les premières petites rebellions. Non seulement elle la retrouve, mais elle la vit avec la maturité de ses quarante ans. Qui ne s’est jamais dit, en repensant à sa « jeunesse » : Ah, si j’avais su ce que je sais aujourd’hui, si j’avais eu la confiance en moi que j’ai maintenant, si j’avais mieux compris l’importance ou la non-importance de certaines choses, j’aurais agi différemment ? Camille, elle va en cours en se foutant des heures de colle, elle couche avec qui elle veut en se foutant du qu’en dira-t-on, elle veut passer du temps avec ses parents parce qu’elle a enfin compris comment les aimer.

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Mais Camille, elle est confrontée à un problème qui la dépasse et qu’on connaît tous, sans avoir besoin de voyager dans le passé. Ils sont autour de la table à manger, ses parents et elle, pour ses seize ans. Ils lèvent une coupe de champagne, ses parents lui souhaitent un bon anniversaire, le gâteau attend d’être coupé. Camille pense à ce qui va suivre, à ses parents qui vont vieillir et puis mourir, à sa vie à elle qui va continuer son cours, et à ce moment, là, tout de suite. Qu’est ce qui fait qu'elle s’en souviendra ? Comment faire pour se créer de beaux souvenirs, qu’on pourrait sortir des placards de temps à autre pour se dire en les admirant : Oui, pas de doute, j’ai vraiment eu une belle vie ? Peut-on créer de toutes pièces des moments inoubliables ? A l’aube de mes 25 ans, j’y pense, peut-être trop. C’est quoi une vie réussie ? En regardant en arrière, j’essaie d’isoler les moments les plus forts, les plus heureux, les plus incroyables, les plus décisifs. J’aurais aimé être capable de me dire, sur l’instant : ça y est, ça, c’est un tournant. Là, maintenant précisément, ma vie vient de changer. Ou bien être capable de me dire : tu vois, cette soirée, ce baiser, cette décision, tu vas t’en rappeler pour toujours. Tu ne l’oublieras jamais. Tu y repenseras parfois avant de t’endormir, tu la chériras, tu l’évoqueras avec des fêlures dans la voix. Au moment de mourir, quand ta vie défilera devant toi, il y aura cette seconde-là en gros plan, ses yeux, le sourire de ta mère, le souvenir de cette fête d’anniversaire, cette chanson. Il y a les moments évidents, ceux que l’on nous apprend à considérer comme uniques : la première fois, le jour où l’on quitte le nid familial, le premier appartement, le premier enfant. Et puis il y a les minutes décisives qui nous prennent par surprise, parce qu’on ne savait pas, en les vivant, toute la saveur qu’elles allaient acquérir. La dernière fois que j’ai vu mon arrière-grand-père, sans le savoir. Mon premier amour. Ma première décision d’adulte. Ma première amitié. La première fois où j’ai réalisé que j’étais heureuse.

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Camille, elle est comme tout le monde : dans sa première vie, elle n’a pas su saisir toute la portée de ce qui lui arrivait. Pendant sa deuxième chance, elle essaie de savourer, et aussi de se préparer à ce qui vient, du mieux qu’elle le peut. Elle essaie même de changer les choses. La tentation est trop grande. Je l’aime, mais il va me rendre malheureux : il ne faut pas me laisser aller. Elle va mourir, je le sais, il faut l’empêcher. Et s’il fallait simplement lâcher prise sur nos regrets, sur notre vie rêvée, sur nos prétendues erreurs passés ? Qui a dit qu’il y avait un mode d’emploi, un listing géant des bonnes et des mauvaises décisions que l’on a prises, bien rangées dans deux colonnes Excel ? La vérité, c’est peut-être qu’il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises décisions. C’est comme un livre dont tu es le héros. Selon le numéro de page que tu choisis, tu es renvoyé à droite ou à gauche, tu empruntes un chemin différent, il t’arrive d’autres choses, mais il est possible que tu atterrisses tout de même au bon endroit à la fin. Les numéros de page peuvent représenter non seulement des décisions, mais aussi des façons de vivre un même évènement. Par exemple, un amour malheureux. Faut-il décider d'éviter en bloc quelqu'un qui va nous faire souffrir à plus ou moins long terme ? Ou bien faut-il profiter du temps heureux vécu ensemble et surmonter sa douleur le moment venu ? Camille fait son apprentissage, et nous aussi.

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Ce qu’il y a de merveilleux avec ce film, c’est qu’il est loin d’être parfait, mais il a une puissance incroyable, parce qu’il t’emmène avec lui sur les chemins tortueux de la vie. Là où il n’y a pas de demi-tours possibles, juste des culs de sac, des intersections et des virages à 180 degrés. Avec Camille, tu te prends des murs, tu tombes en panne, tu paniques, tu fermes les yeux et tu roules à tombeau ouvert. Tu n’es plus tout seul avec tes questions et tes peurs, peur de rater ta vie, de ne pas devenir ce que tu voulais être, de ne pas être quelqu’un de bien, de décevoir les autres et de ne pas savoir aimer. Et ça, ça enlève un poids de ton cœur et ça te remplit de joie. 

Rédigé par Nombre Premier

Publié dans #Films TV Books & Music

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