Fuck you, Peter Pan
Publié le 14 Novembre 2011
Tu vieillis. Désolée d’être aussi franche, mais regarde-toi. Tu n’as plus vingt ans. Tu es passé de l’autre côté du miroir. Il y a des cadres sur tes murs au lieu des posters accrochés avec de la Patafix. Il y a autre chose dans ton frigo que de l’alcool et de la moutarde. Il y a même un peu d’argent sur ton compte en banque. Admets-le: tu es vieux.
Prendre de l’âge a des côtés positifs, comme tu peux le voir. Tu t’autorises à acheter du chardonnay à plus de deux euros la bouteille, tu as quitté ta chambre de bonne et tu te fais de petits week-ends à l’étranger de temps en temps. Bien calé, l’adulte. Tes potes ont vieilli aussi, pas tous au même rythme mais ça vient peu à peu. Je ne te parle pas des exceptions qui sont mariés ou parents. Je te parle de tes vieux potes proches, ceux que tu as connus sans dessus dessous à des soirées mythiques, avec qui tu as dormi par terre, vécu tes pires cuites et partagé tes plus belles choppes. Ceux qui ont été tes colocs, à l’époque où ta conception de la cuisine se limitait à faire réchauffer un plat Fleury Michon ou à préparer des pâtes au thon. Ceux qui étaient à tes côtés pendant les galères de fin de soirée (parfois de leur faute), pendant les meilleurs moments de bon nombre d’années. Ceux avec qui tu te posais sur un canapé défoncé, le dimanche soir, avec un film en arrière-fond et des discussions existentielles sur l’avenir.
L’avenir, c’est aujourd’hui.
Tu vis tout seul maintenant, ou parfois en coloc, mais ça n’a plus rien à voir. Le papier toilette a plusieurs épaisseurs et il y a des légumes dans le frigo, c’est dire. Tu préfères aller bruncher le dimanche matin que te mettre trop mal le samedi soir. Tu parles de loyers exorbitants à Paris, de déco ou de ton boulot avec une aisance qui rappelle celle de tes parents. Tu as des loisirs d’adulte, comme chiner une table basse à la brocante, aller au club de sport ou faire le marché. Et ça te plaît, alors pourquoi t'en priver?
Toi et tes potes qui pensiez que vous auriez les réponses à vos questions, à cet âge. C’est tout l’inverse. Maintenant que se déroulent devant toi quarante années de vie active ininterrompue, c’est encore plus flippant qu’avant. Que faire de tout ce temps, et paradoxalement, de ce manque de temps ? Se donner à fond pour sa carrière ? Se concentrer sur sa vie amoureuse ? Développer des loisirs en parallèle ? Le tout sans oublier sa famille, ses amis, de payer son loyer et de manger sain. Mais tu sens bien qu’il va falloir faire un choix. Distinguer des priorités. Sinon, le reste de ta vie n’aura aucun sens. C’est à toi de fixer des étapes. Des objectifs. A toi de te lancer des défis.
A moins que le défi ne soit juste de surnager. De démêler les obstacles inévitables. Trouver un boulot où tu ne te sens pas trop mal et qui te permette de vivre correctement, et t'y accrocher. Ne pas perdre contact avec tes proches, rencontrer d'autres gens. Trouver la bonne personne, et l'intégrer dans ta vie, et faire en sorte qu’elle ait envie d'en faire partie. Rester proche de ta famille, t’occuper de toi, lire le dernier Goncourt, rentabiliser ta carte UGC illimitée. Plus tard, te reproduire, comme un nouveau défi, une façon de te mettre de nouvelles échéances. Et quand tes rejetons quitteront la maison, dire que tu vas enfin pouvoir souffler, et recommencer à te chercher des occupations.
Ca semble impossible que la vie n’ait que ça à offrir, et pourtant. Heureusement, il existe les petites joies du quotidien : passer un dimanche au lit, le soleil de novembre, des amis autour d’une table, un texto, plusieurs verres, un bon film. Et les bonheurs un peu plus gros, ceux qui proviennent d’un accomplissement, d’une réussite, professionnelle ou personnelle.
Au final, tu te retrouves à marcher dans Paris comme un vieux con, le nez au vent, le fil de tes pensées qui se déroule à cent à l’heure, et tu te surprends à te dire que finalement, malgré les supposés obstacles et l’incertitude, tout ira bien. C'est dimanche soir et le dimanche soir, tu te poses plein de questions. Mais à bien y regarder, tu n'as pas seulement vieilli: tu as grandi.