La coureuse

Publié le 9 Octobre 2012

Maïa, donc. La sexperte du Web a crée une héroïne à son image, elle aussi blogueuse sexe, elle aussi in a relationship avec un Danois, même physique, même mode de vie que ce que la vraie Maïa nous donne à voir sur Sex ActuC’est une vraie autofiction, avec beaucoup de choses qui sont arrivées et beaucoup d’arrangements avec la réalitéIl est donc tentant de croire à l’autobiographie, mais je n’en sais fichtre rien. La coureuse, c’est le nom du premier blog de Maïa, sur 20six (aujourd’hui mort). Et c’est aussi le nom de son deuxième roman, après Dehors les chiens, les infidèles.

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Je me suis rarement aussi peu identifiée à une héroïne qu’à cette coureuse. Et pourtant, j’ai terminé le roman. J’avais l’impression d’être de l’autre côté du miroir, dans une dimension parallèle. Celle des chasseuses. Celle des stratèges. Celle des femmes auxquelles je croyais dur comme fer ado sans jamais en rencontrer réellement (c’est peut-être parce qu’inconsciemment je les ai évitées, je ne sais pas). En quelques caractères sur le papier, en voilà une devant moi. La séductrice. Maïa-l’héroine, ou Maïa-tout court, aime les hommes. Elle agit en traqueuse, repère sa proie, la conquiert de haute lutte, va à l’affrontement et place ses pions, ses pièges, pour faire tomber la bête dans ses filets. Au début du roman, on la découvre en train de quitter son boyfriend de deux ans, un certain Alexander, envers qui elle a éprouvé une affection-canapé. Elle a ressenti l’appel de la chasse et elle veut lever son cul du sofa. Je suis beaucoup trop jeune (32 ans) pour apprécier la poésie du quotidien. Je peux seulement jouer au couple comme on joue à la marelle – comme si. Je ne pense pas que ce soit une question d’âge, plutôt de caractère. La rupture, c’est à cause d’un mec, un Danois nommé Morten. Elle en avait repéré un autre à un séminaire quelconque en Norvège, elle s’est finalement rabattue sur lui, il est passé à la casserole, elle ne cesse de penser à lui.

Une métaphore récurrente du bouquin, c’est la drogue. Les hommes sont de la came, Maïa a besoin de son fix, elle cherche un dealer et de la meilleure marchandise en permanence. En même temps, elle a besoin d’être amoureuse pour coucher, nous dit-elle, sinon le rush tant attendu ne vient pas. Tous les deux ans, elle quitte son mec pour un autre, pour connaître quelqu’un d’autre et autre chose. A ses yeux, se poser avec quelqu’un c’est renoncer à toutes les autres possibilités, au vaste monde qu’il reste à découvrir. Elle n’est pas triste quand elle rompt, Maïa, même si le cliché dit autrement: je suis censée oublier que renoncer au happy end avec option chambre double en maison de retraite, ça ouvre la porte à de multiples happy ends. Eh bien soit: à l’aventure!

Oui, sauf que pour l’instant elle est surtout toute seule dans son appart berlinois, à se masturber à coup de Fairy et à rêver éveillée au Danois. Ca la fait un peu flipper, il faut qu’elle sorte de cette transe. Alors, direction Copenhague.

Au fil des pages, on apprend par-ci par-là quelques informations « scientifiques » sur la sexualité : les hommes préfèrent les femmes qui se dandinent en marchant, parce qu’elles sont plus susceptibles de connaître l’orgasme vaginal. Du coup, Maïa se dandine. Quand elle sonne à la porte du Danois pour un premier vrai dîner, elle s’est construit un personnage, celui de la femme qu’elle pense idéale selon Morten. Elle porte un string. Elle s’est même teint les cheveux en blond. Alors pour lui j’ai crée sur mesure la créature à laquelle il s’adresse maintenant. Une fille romantique, gourmande mais naïve. Encore cette fille-là, cette fille qu’on croise sans arrêt dans les magazines, dans les films et à la télé, cette fille dont l’esprit flotte au-dessus des cours de récré au collège et autour des Planet Sushi rose bonbon à Paris. Cette fille qu’on devient quand on écoute Skinny love de Bon Iver/Birdy, même quand on est un mec. Cette fille qui a bouffé toutes les autres jusqu’à devenir l’archétype de la Fille.

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Le champ lexical de la Coureuse ne manque pourtant pas de mots guerriers : Maïa observe son territoire, se prépare à la conquête, elle pense à son tableau de chasse, à ses ambitions, elle envisage la première rencontre avec les parents comme une avancée de son domaine d’influence. Toute cette belle énergie farouche ne se déploie que pour un homme. J’espère qu’il en vaut la peine, parce qu’elle pourrait servir à tellement d’autres choses. Le piège se referme sur le si convoité Morten, qui tombe entre les filets de Maïa ici même, sur la table de la cuisine. Après le premier entrechoc les choses sont simples comme un homme qui s’écroule […]. Il suffit de me rappeler tous mes articles. La fellation parfaite dont j’ignore les détails, les trente conseils pour affoler votre amoureux, les cent choses à savoir sur le sexe, les bons trucs qu’on pique aux films pornos (ça dépend lesquels), les dix mouvements qui le feront craquer […]… Je n’improvise rien. Surtout quand je veux remporter la partie. De la part d’une sexperte, je ne m’attendais pas à cette conception normée et ennuyeuse du sexe, comme si c’était un exam pour lequel il fallait bûcher, refaire dix fois les mêmes exercices pour s’entraîner, et pour lequel on pouvait tricher ou se rattraper à l’oral. De même, interrogée sur le nombre de ses amants passés, Maïa répond toujours deux histoires sérieuses et quelques aventures, pour ne pas intimider ni responsabiliser le mâle. Ils sont fragiles, les garçons. Il faut les ménager en permanence. Pauvres petits chats. En plus d’être condescendante au possible envers des individus majeurs et vaccinés, pourquoi ne pas les pousser à grandir en leur avouant que le Père Noël n’existe pas ? Je joue le jeu parce que je n’ai pas le choix. S’il faut que je sois une princesse, comme dans les contes de fées, alors je m’inventerais une couronne. Mais qui a dit que tu n’avais pas le choix ? Les hommes que tu convoites ? Mais pourquoi vouloir des histoires « sérieuses » avec des petits chats, au lieu d’aller chasser le lion, avec tes 180 conquêtes (coucou Charles des Chtis) en bandoulière ? Toute mon éducation féministe ne m’empêchera jamais de me conformer à ce qu’ils veulent. C’est qui ce « ils » ? La volonté d’une masse d’hommes n’existe pas. C’est comme dire que le prince charmant a la même tête pour toutes les filles qui y croient encore. Sous le vernis des conventions sociales et des clichés, l’homme est aussi unique, inattendu et complexe que la femme. Quel scoop.

La séduction est un sport sournois : il existe des règles et des espaces entre les règles. Le genre de phrases qu’on pourrait trouver dans un Glamour amélioré. Je ne comprends pas comment la Maïa qui a rédigé un article génial sur les plans à trois et cette Maïa-là peuvent cohabiter dans le même corps. Tout le monde a des contradictions, la grosse difficulté consiste à les résoudre. Mais s’appliquer à entrer dans un moule que l’on déteste pour plaire à des hommes qui ne peuvent donc pas nous aimer vraiment, c’est quand même un stade à dépasser, non ?

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Bon, et le fameux Morten alors, il est comment ? Il en vaut la peine, de tous ces efforts, de tous ces mensonges ? D’après Maïa, oui, mais on ne sait pas trop pourquoi. Certes, c’est un jeune entrepreneur de 26 ans qui devient millionnaire dans l’e-business. Il a des muscles noueux et un torse d’armoire à glace. Mais tout comme sa fiancée psychopathe, il fait la guerre, pas l’amour. Les critiques pleuvent pour que Maïa s’améliore, son physique, son style, ses compétences culinaires, son côté battant. Finalement, il n’y a que le sexe qui ne donne pas lieu à un redressement productif, même s’il garde quelque chose de mécanique. Et la jeune femme plie sans se rompre, donne tout, dans l’espoir d’un compliment, juste pour avoir la satisfaction de le mettre à ses genoux, c’est-à-dire dans son lit encore un soir. A mes yeux, il y a presque les fondements d’une relation sado-masochiste ici : Morten décide, indirectement ou directement, de ce que mange Maïa, de ce que fait Maïa (s’occuper de la maison et être belle), de la couleur de cheveux de Maïa, de ce que porte Maïa (beaucoup de rouge), de qui voit Maïa. Et Maïa trouve sa satisfaction, voire une forme de plaisir, dans le fait de dépasser les attentes du Maître.

Au cœur du business du Danois, il y a les relations investisseurs, pour qu’on lui rachète ses starts-up ou pour qu’on investisse dedans. La Française sert de proie, tout de rouge légèrement vêtue, amincie grâce à deux heures de step quotidiennes, elle s’embusque sur les terrasses gelées du Danemark ou de New-York et elle attend l’investisseur pour l’allumer gentiment. Belle plante, fille qui apporte de la joie et de la légèreté à une discussion d’affaires. Quelqu’un a dit potiche ? Comment Maïa arrive-t-elle ainsi à s’effacer, à se caler dans l’ombre de son mec ? Elle explique à un moment qu’à décider de presque tout dans sa vie, Morten la dépouille de ce qui n’est qu’apparence (vêtements, maquillage, attitude) et qu’elle espère trouver, au plus profond d’elle-même, qui elle est vraiment. Elle espère tomber nez à nez avec ce qui reste, avec le trognon. Grande espérance toujours déçue.

Au fil du temps, Morten a devant lui la femme dont il rêvait : plus blonde, plus fine, plus stylée, meilleure femme d’intérieur. Il est heureux, donc il lui prend la main et y passe une bague, fait des projets d’enfants. A sa manière flippante de psychopathe, mais rien d’étonnant. Et là, Maïa rue dans les brancards. Elle dit que ça arrive trop tard et qu’elle n’en veut plus. Sa valise sous le bras, elle se fait la malle, sans regrets. Elle rempile dans la légion et va se trouver une autre guerre à remporter.

Le portrait de cette chasseuse est fascinant parce qu’il décrit une femme qu’on croise peu dans le reste de la littérature et des média. Une mante religieuse qui aime les hommes et qui les dévore quand même. C’est pour ça que c’est un bon livre, pour cela et aussi pour les tournures de phrases ciselées de Maïa. Mais c’est un livre qui m’a dérangé. Il tourne autour d’un homme, et des hommes un peu aussi. Il tourne surtout autour d’une pimbêche. Une fille qui vit pour les hommes, pour leurs regards et leur estime et leur amour. Qui arrive à s’oublier, à s’écraser, parce qu’elle accorde plus de prix à la considération d’un autre qu’à la sienne. Qui vit dans un monde de stratégie et de faux-semblants, de hululements de Peaux-rouges et de baïonnettes parce qu’elle a peur de rencontrer du vide, son vide à elle. C’est une interprétation. Mais en éteignant mon Kindle, j’avais juste envie de conseiller à l’héroïne de se trouver une vie, une vraie, en plus de l’homme qu’elle cherche si désespéremment.

Rédigé par Nombre Premier

Publié dans #Films TV Books & Music

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