La formation de la lose
Publié le 14 Septembre 2011
Vendredi, on avait une journée de formation. Je me suis dit « Chouette, ça va être relax ». Un peu comme un week-end anticipé. On était treize participants, ce qui en soit était un mauvais présage. Mais je n’y ai pas fait attention, toute ravie que j’étais de quitter mon éternel bureau, avec son fauteuil moyennement confortable, son tapis de souris Star Wars et son pot à crayon rouge.
Trop cool, pas vrai?
La formation a eu lieu dans le même bâtiment que celui où je travaille, donc je n’étais pas trop dépaysée. A neuf heures pile, nous nous sommes installés à la queue leu-leu dans une petite salle carrée aux tables disposées en U. Le placement est extrêmement crucial. Nos deux stagiaires, Speedy et Limace, ont essayé de rester collés comme des siamois, mais ils ont été séparés par le directeur financier (DAF) qui s’est installé pile au milieu, « je me mets bien au centre hein, déjà que j’ai besoin de lunettes pour lire sur votre écran ! » Il y a bien un beau gosse (le seul de l’étage, qui bosse aux normes comptables), mais personne n’en a bénéficié vu qu’il s’est assis entre les deux mecs des systèmes d’information. Je me suis retrouvée avec la stagiaire Limace à droite et la grande chef à ma gauche. Mission placement stratégique : pas ouf, peut clairement mieux faire.
Puis la formation proprement dite a débuté. Un consultant spécialisé en systèmes d'information (donc forcément un peu déprimé) a commencé à parler pendant que tout un chacun se servait un café ou un verre d’eau, grâce aux carafes habilement placées sur une petite table centrale. J’étais déjà allé me chercher un Coca Zero au distributeur, en prévision de la folle journée qui m’attendait. Sur l’écran, Consultant projette un Powerpoint en nous disant que ça va être trop chouette aujourd’hui. Je jette un coup d’œil au numéro du slide : c’est le troisième sur 168. Aie. Il est 9h07. Mission motivation : zéro pointé.
On entame les réjouissances par des considérations assez générales sur la vie, la mort, et le logiciel comptable. S’il y a parmi vous, lecteurs, des utilisateurs de Magnitude, que Dieu vous garde. Consultant est très pro. Mais la chef de Consultant le coupe tout le temps, en disant « Oui, juste une petite parenthèse… » Du coup il est dix heures et on en est seulement au slide 7. Je jette un regard en coin aux deux stagiaires. Limace regarde dans le vide d’un œil torve. Speedy se balance sur sa chaise, l’air sagace. Le reste de l’assemblée a l’air de suivre la présentation (pour l’instant). J’ai faim. J’ai apporté un Kit Kat Chunky parce que je n’ai pas eu le temps de petit-déjeuner (parce que j’ai repoussé quatre fois la sonnerie du réveil ce matin). Mais je n’ose pas déchirer le papier qui l’entoure, ça va faire plein de bruit. Dix heures et demie. Mon ventre se met à gargouiller. J’adresse un sourire gêné à la grande chef, qui s’en fout royalement. Bon, 10h45, je n’y tiens plus, je déchiquette rapidement l’emballage dans mon sac en affichant un air contrit et professionnel à la fois, du genre « Je suis vraiment désolée de gêner ainsi cette présentation passionnante que j’écoute moi-même avec ferveur et attention ». Au moment où je croque ma première bouchée, tout le monde tourne la tête vers moi. Le directeur financier me jette un regard un peu affligé. Mission « ne pas se taper la honte » : élève médiocre.
Om nom nom
Je viens à peine de terminer mon Kit Kat que Consultant propose une pause. Allons donc. Ma collègue enceinte se précipite aux toilettes pendant que les fumeurs sortent sous le préau. Je tape la discute au futur nouveau membre de mon service, qui arrivera dans deux semaines. Marrant, il a fait la même école que moi, on a donc des choses à se raconter. Les gens traînent, ne veulent pas rentrer dans la salle. On sent la faim monter. Consultant est obligé de venir nous chercher un par un, comme des gamins dissipés. Le directeur financier se laisse tomber sur son fauteuil en disant « Allez, c’est reparti ». Go.
J’ai bien fait de faire ma morfale, vu qu’on ne déjeune finalement qu’à 13 heures. Tout le monde se dirige d’un bon pas vers la cantoche. Consultant nous snobe pour aller nous pourrir en déjeunant avec ses collègues. Qu’y a-t-il de pas bon au menu aujourd’hui ? Une escalope milanaise, des pâtes, un coulant au chocolat. Cela augure le meilleur pour cet après-midi. Nous sommes treize, donc nous ne trouvons pas de table assez grande. On finit par se scinder en deux groupes : le directeur, la grande chef, le beau gosse et le paramétrage d’un côté, et mon service de l’autre. Oui, nous sommes de gros asociaux. Mission sociabilisation et réseautage : méga fail.
A quatorze heures, l’estomac lesté de carbohydrates et de sucres rapides, nous regagnons péniblement nos pénates. On glande un peu devant la porte du bâtiment. Le beau gosse raconte comme il a tué plein de frelons cet été, chez son frère qui avait un nid dans son jardin. Trop fort. Le DAF lui demande s’il a utilisé une « raquette à insectes » (moi non plus je ne visualisais pas, donc illustration plus bas). Le beau gosse répond qu’il s’est servi d’un exemplaire des Echos roulé en boule. On a la classe ou on ne l’a pas.
La grande chef raconte ses vacances dans le Sud et la rentrée de son fils. On essaie de trouver un prénom pour le bébé à venir de ma collègue. Une guêpe finit par me frôler, je sursaute bêtement, paniquée. Le DAF me regarde et conclut : « Faudrait vraiment que vous achetiez une raquette ». Mission « ne pas se taper la honte, 2 » : performance nulle mais régulière.
Le début de l’après-midi est tout bonnement atroce. Je comate sur ma chaise, le nez rivé dehors. Mes yeux se ferment tout seuls. Je n’arrive pas à suivre une seule phrase de Consultant (au top de sa forme, bizarrement), jusqu’au bout. Mais nous progressons dans les slides, c’est déjà ça. Les gens posent plein de questions que je ne comprends pas. Du coup je n’écoute pas les réponses (que je ne comprends pas non plus). Mon esprit vagabonde entre différents sujets : fera-t-il assez chaud samedi soir pour que je mette ma nouvelle robe fleurie ? Vais-je réussir à bien avancer mon mémoire ce week-end ? Ai-je bien fait de m’inscrire au club de sport, finalement ? (réponses : oui, non et on va bien voir). Tout à coup, la grande chef se penche vers moi : « Dis-moi, je n’ai pas bien suivi parce que je discutais avec Machin ; qu’est-ce qu’il a dit sur les éliminations réciproques sur le forecast de septembre ? » Hein ? J’écarquille involontairement les yeux en mode « Mais de quoi peut-elle bien me parler » et finis par murmurer un penaud : « Heu, je ne sais pas exactement, je ne suis pas sûre d’avoir compris ». Mission « briller par son professionnalisme et ses compétences » : échec cuisant.
Il est dix-sept heures et miracle ! La formation semble s’achever plus tôt que prévue. J'imagine déjà à quoi je vais bien pouvoir employer cette heure de week-end supplémentaire quand la grande chef pose une question. Elle n'a l'air de rien, comme question, mais elle plonge Consultant et sa chef dans tous leurs états. Je jette un regard à la grande chef. Elle a son sourire en coin habituel, celui qui dit "Ah, tu l'avais pas vue venir celle-là!" Le paramétrage s'en mêle. Le beau gosse s'en fout et joue sur son Iphone (avec en fond d'écran ses deux petits garçons). Les stagiaires décèdent d'ennui, tout comme le DAF pour qui tout ceci est beaucoup trop technique. Mon service intervient de temps à autre (sauf moi vu que je n'ai écouté ni le début, ni le milieu). Ma jambe tressaute nerveusement, pressée de s'enfuir, pressée de quitter cette pièce, cette chaise, ce bâtiment, de retrouver la liberté. Enfin, tout le monde a l'air de tomber d'accord. On se sourit. Le DAF dit: "Bon, ben je crois qu'on a fini". Aussitôt, cacophonie de chaises et grand départ: nous galopons en coeur vers le portique de sécurité et nos vies extraprofessionnelles. Il est dix-huit heures trente.
Bilan de cette journée: j'ai couru le marathon de l'ennui, mais j'ai survécu. Et en plus it's Friday, fun fun fun!