Le cas Léna

Publié le 15 Mars 2013

Quand on mentionne le nom de Lena Dunham en soirée, il y a trois types de réactions possibles. La plus courante, c’est Qui ça ? Ah oui, la fille de Girls. Oui, tout le monde ne regarde pas (encore) cette série qu’elle écrit et dans laquelle elle joue. Puis les deux autres réactions : Je l’aime pas du tout / Je l’adore. Il se trouve que je fais partie des admirateurs de Lena pour tout un tas de raisons depuis que j’ai commencé à regarder Girls, mais je ne savais pas qu’elle faisait autant parler d’elle. Jusqu’à la lecture d’un article du dernier Glamour, intitulé Trop moche pour toi ! Et jusqu’au commentaire d’un ami sur sa prestation plutôt dénudée dans la série : Je ne l’aime pas parce qu’elle se fout tout le temps à poil. Elle m’impose son corps et je n’ai pas envie de le voir, ça me met mal à l’aise. Commentaire d’une flagrante mauvaise foi : je n’ai jamais entendu ce mâle hétérosexuel se plaindre quand une bombasse classique lui « impose son corps » dans d’autres séries ou films. Mais passons.

http://www.konbini.com/fr/files/2013/01/spring-breakers-image09.jpgAh mais quelle horreur, allez mettre un T-shirt, il y en a marre d'imposer votre corps comme ça!

Basons-nous sur l’article de Glamour pour discuter du cas Lena, qui divise le microcosme hipster. Ce que raconte ce cher magazine féminin, c’est que les petits défauts des people sont scrutés et moqués en permanence par le public. Jusque-là, rien de nouveau sous le soleil. Glamour emploie le pronom « nous » pour lancer sa problématique : Qu’est ce qui nous pousse à backlasher la moindre star qui a pris 3 kg, alors qu’on n’arrête pas de dénoncer les mannequins-trop-belles-trop-jeunes-trop-retouchées des magazines ? Non merci, mais ne m’inclue pas dans ton autocritique. Autant je suis une fervente lectrice de conneries people, autant ce n’est jamais pour critiquer le physique des pseudo-stars, hommes ou femmes (c’est plus pour suivre leur vie sexuelle en fait), ni pour me plaindre des mannequins à qui je ne ressemble pas. Si on arrêtait de backlasher (is that even a thing ?) ou de dénoncer à tout va, ça irait déjà sûrement mieux.

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Glamour commence par dire qu’on est toutes des filles normales, avec de petits défauts et de grandes qualités. J’approuve. Selon un sondage Ipsos datant de janvier, 97% des femmes interrogées avouent observer, commenter et critiquer l’apparence des autres femmes régulièrement. Mais genre, comment ça se passe ? Tu es avec des amies autour d’un café et d’un coup, il y en a une qui dit Bitch mode on ! et là vous vous mettez toutes à pourrir Machine et ses oreilles décollées ? Je pose sincèrement la question, parce que je n’ai pas été témoin de ce genre de comportement depuis la classe de seconde (et le visionnage de Mean Girls). Ou alors, je ne rencontre que des femmes appartenant aux 3% restants, c’est-à-dire des 3% contentes de leur apparence. Car selon Glamour, nous avons du mal à supporter chez les autres ce que nous détestons d’abord chez nous. Près de la moitié des 30-35 ans se disent insatisfaites de leur apparence, et un quart d’entre nous dépriment dès qu’elles se laissent un peu aller. Pourtant, quoi de plus jouissif que de passer le dimanche en T-shirt promotionnel trop grand et en caleçon de mec, les cheveux attachés, le visage pas maquillé et le vernis écaillé ? Enfin bon, je m’égare.

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Les campagnes Dove, le succès de Belle toute nue, les reportages sur l’anorexie chez les mannequins : la fixette sur le physique n’a jamais été aussi forte. A travers ces trois exemples, remarquez qu’on s’oriente subtilement vers un seul point du physique : le poids. Les oreilles décollées ou les vergetures, on en parle plus, c’est moins grave que le POIDS. Place au traditionnel avis du spécialiste (dans le cas présent, des tendances et des médias – hello pipeau !) : La femme moderne, pour se faire une place, doit se soumettre à trois règles fondamentales : décrocher un bon job, trouver un mec et sortir de l’anonymat, c’est-à-dire avoir son réseau de fans, être « publiquement » reconnue. Je la vomis tellement, cette phrase et cette femme. La femme moderne ne doit par définition se soumettre à rien. Fuck les fans Facebook, les like sur tes photos de vacances et tes 5 000 amis. Cette obligation d’être reconnu publiquement ne concerne qu’un infime pourcentage de la population qui exerce un métier vaguement social tel qu’attaché de presse, community manager ou chef d’un produit cool. Les autres gens qui bossent en achats, en boulangerie ou en chimie vivent très bien sans être connus de tous leurs voisins virtuels, merci beaucoup.

Enfin passons. Dans la suite de l’article, on apprend que 86% des femmes interrogées se sentent jugées physiquement par d’autres femmes et que 68% des interrogées ont peur que l’on se moque de leur apparence. Je fais donc appel à mes lectrices : ça vous est arrivé souvent, de vous sentir jugée physiquement par les autres filles ? Je peux très bien le concevoir dans certains milieux comme la mode ou le luxe ; mais dans votre vie de tous les jours ? Ces chiffres me semblent ahurissants et me laissent dans l’incompréhension la plus totale. Deuxième intervention d’expert : Dans notre société, on considère que la femme est responsable de sa beauté. La laideur est aussi de sa faute. Ca y est, on arrive au cœur du problème : [le critère de beauté n°1], c’est le poids, ce terrible « aveu de paresse » qui ne suscite aucune indulgence. Et de rappeler la scène de Bachelorette où la filiforme Kirsten Dunst est véner que sa grosse copine (la géniale Rebel Wilson) se marie avant elle. Dans notre inconscient collectif, les minces seraient plus méritantes que les grosses. Méritantes, je ne sais pas. Mais plus appliquées, plus consciencieuses, plus sous contrôle, plus parfaites en somme. Comme si maintenir sa ligne était un objectif tout naturel de la vie, à côté d’avoir un travail, un mari, des enfants et une maison. Peut-on dire d’une femme à la carrière impressionnante et à la famille aimante, mais grosse, qu’elle a réussi sa vie ?

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Bon, donc nous (les lectrices de Glamour) sommes sous pression pour avoir une silhouette à la hauteur de nos ambitions dans la vie. Pour se rassurer, 67% des femmes avouent que voir dans les médias des filles qui leur ressemblent leur fait du bien et les déculpabilise. Ah, ben ça ne serait pas une bonne solution, ça ? Des mannequins et des role models au physique un peu plus varié ? Ah non, nous dit Glamour, ça ne marche qu’à petites doses. Toutes les études montrent que les filles cherchent avant tout dans la presse féminine une image de ce qu’elles pourraient être dans l’idéal. Si les numéros « sans retouches » ou « spécial rondes » font le buzz, c’est parce qu’ils restent exceptionnels.

Alors déjà, c’est sûr que si on ne demande qu’aux lectrices actuelles de la presse féminine ce qu’elles veulent, on va avoir ce genre de réponses. Mais il faut penser aux consommatrices potentielles, qu’un sens acéré de la critique ou qu’un sentiment grandissant de culpabilité a éloigné des sous-entendus moralisateurs et bornés de la presse féminine actuelle. Et puis, c’est le même problème que la poule et l’œuf, que j’ai rencontré dans le cadre de ma boutique. Mes fournisseurs m’ont tous déconseillé de vendre certaines tailles de soutien-gorge car ça reste exceptionnel. La taille de bonnet la plus vendue, c’est le D. Et bien figurez-vous que pour chaque bonnet D vendu, j’en vends 3 en E, F, G et plus. Si on ne propose pas de plus grandes profondeurs de bonnet, on ne risque pas d’en vendre. L’offre dicte aussi la demande. Donc si on ne propose pas de magazine féminin mais pas débile, avec une variété de silhouettes, de conseils mode et beauté, avec aussi (soyons fous) des femmes grosses, métisses ou vieilles en photo, on ne risque pas de le vendre. C’est con, parce que moi je l’achèterai. Il n’y a qu’à voir le succès de Causette en kiosque, qui a fait le pari de sortir un titre résolument féministe, sans fioritures, avec certes des défauts mais qui a le mérite de ringardiser illico une bonne partie de la presse féminine actuelle. Bien joué !

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Revenons-en au cas Lena, qu’on n’a pas encore abordé pour le moment. Glamour dit qu’elle vient bousculer la donne, grâce à la qualité de sa série, mais surtout grâce à son culot à dévoiler ses bourrelets sans lumière tamisée. Et c’est ça qui divise les gens, comme l’exprime mon ami du début ou cette interviewée : Je ne veux pas voir une fille à quatre pattes sur son mec avec son ventre qui pend. Je me dis que je dois ressembler à ça, et ça me fait flipper. Allo, non mais Allo quoi, comme dirait Nabilla. Tout en regardant son ventre mou, as-tu regardé la tête du mec qu’elle chevauche ? Ah, je crois qu’il prend son pied, là. Tout simplement parce qu’il n’en a pas grand-chose à faire, de ses bourrelets. Les scènes de sexe dans Girls nous rappellent cette incroyable vérité : une fois au lit, homme ou femme, ce n’est pas grave d’avoir trois poils de trop ou un sein plus gros que l’autre. L’ingrédient essentiel à du bon sexe, c’est le lâcher-prise vis-à-vis de son physique. C’est de ne surtout pas penser à quoi on ressemble et c'est être dans l’instant, dans les sensations à 100%. Enfin, ce n’est que mon opinion. Mais c’est pour ça que je dis banco à Lena : érotisons les ventres mous, les cuisses dodues, les petits seins et les gros nez ! Allons-y à fond ! Parce qu’il y a dix fois plus excitant qu’une belle paire de seins ou qu’un ventre plat : il y a une fille (ou un mec) qui prend du plaisir et qui lâche prise.

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Bon, évidemment, tout le monde ne partage pas cette vision du sexe. Une journaliste du New York Post aurait dit Etrangement, les garçons de la série semblent raffoler de son corps tout mou. Diantre, une grosse qui a une vie sexuelle épanouie, mais que fait la police du bon goût ? C’est vrai que Lena-de-la-série se tape pas mal de mecs. Son petit copain de la première saison, avec qui elle pratique un peu de SM. Dans la saison 2, entre autres Donald Glover, un mec de 19 ans et un mec de 41 ans (canon). Ce n’est pas de son corps que raffolent ces mecs. C’est d’elle. De sa spontanéité, de son côté psychopathe et (disons-le) volcanique. Quand elle vole un baiser à son superbe voisin DILF (Daddy I’d like to), la fille normale (moi) frissonne. Parce que dans la vraie vie, jamais une fille normale n’oserait faire ça. Et Lena, elle fonce. Au pire, elle se prend un vent (ça lui arrive). Au mieux, elle baise. Et elle m’a convaincue que c’était une bonne façon d’agir, même et surtout en tant que fille normale.

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Avec Glamour, on ne partage évidemment pas la même conclusion. La leur, c’est : La prochaine fois qu’on hésite à porter cette robe trop courte, on n’a qu’à se souvenir de la phrase de Lena, Je vais vivre jusqu’à 105 ans et montrer mes cuisses chaque jour d’ici là. Ma conclusion, ce serait de ne pas perdre plus de temps que l’on ne juge personnellement nécessaire à garder la ligne et embellir son corps. Et de ne pas se sentir obligé d’y consacrer le temps que la société ou les autres filles/mecs te disent d’y allouer. Pour se sentir bien dans son corps vis-à-vis de soi-même, et de personne d’autre.

Ah, et aussi de ne jamais, jamais hésiter à embrasser quelqu’un. Ça promet au moins de belles histoires à raconter, si ce n’est une bonne partie de jambes en l’air.

Rédigé par Nombre Premier

Publié dans #Féminisme 101

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