Les clients de la semaine (4)
Publié le 12 Avril 2013
Ça fait un bail que je n’avais pas écrit, dis donc. Enfin bon, en ce moment j’ai toujours l’impression de dire ça. Ça fait un bail que je n’ai pas pris un verre entre potes, partager un bon dîner avec eux, ou même glander devant Project Runway en replay. Par contre, ça fait trois minutes que j’ai écrit un article pour mon blog pro, deux minutes que j’ai liké encore une photo de boobs (n’est-ce pas Vincent), et une minute que j’ai remis un soutien-gorge sur son cintre. Ah, et aussi moins de vingt-quatre heures que l’on m’a volé mon portable (article écrit jeudi soir vers 19h, ce qui explique cela). Ce qui m’amène tout naturellement au premier client de la semaine :
Le mec qui m’a piqué mon téléphone
Il est dix-neuf heures passées, je suis à moins d’une demi-heure de la fin de ma journée, je suis contente. Je suis encore une fois en train de faire du ménage, c’est dingue ça, dans une boutique il y a toujours quelque chose à classer, étiqueter ou remettre en rayon. Je quitte la pièce principale pour aller du côté des cabines et de mon grand placard à rangement, pour y déposer un soutien-gorge sorti pour une cliente. Quand je reviens dans la pièce principale, un monsieur est en train d’ouvrir la porte et de se faire la malle, mon Iphone sous le bras. Mon Iphone qui était posé sur mon comptoir, et donc visible depuis la rue. Fuckety fuck. Je trace derrière le mec, très jeune, qui est déjà au coin de la rue le temps que je comprenne ce qui se passe. Donc c’est mort. Donc c’est la lose. Donc ça va me coûter une blinde, cette histoire. Donc hier, c’était un peu une journée de merde, voilà.
La maman et son fils
Il est quinze heures, un jour de semaine. Une dame pousse la porte, un petit garçon d’environ huit ans à la main. Pendant qu’il s’installe sur le banc avec le téléphone de sa mère, celle-ci m’explique qu’elle a accouché il y a quelques mois et que depuis, elle est un peu perdue dans les tailles, plus aucun soutien-gorge ne lui va. Je prends donc ses mesures, et c’est parti pour la série d’essayages. Une bonne vingtaine de soutien-gorge plus tard, on a fait le tour. La dame cherche aussi quelque chose qui sculpterait sa silhouette sous une robe près du corps. Je lui propose l’un des nouveaux serre-tailles que je viens de recevoir : une tuerie, super sexy et surtout super efficace. Elle est conquise. Puis on se lance dans l’essayage d’un corset. Pendant ce temps, son fils est très sage, pas un bruit.
Après dix minutes de laçage acharné, elle s’admire dans la glace et me demande même de prendre une photo pour qu’elle puisse l’envoyer à son mari. Plus rien ne me choque, alors me voilà en train de prendre la dame en photo (elle fait un peu une duckface supposément sexy). Comme on a quand bien lutté pour l’enfilage du corset, elle ne veut pas l’enlever tout de suite, elle s’aime trop dedans. Je repars du côté de ma caisse pour lui laisser un peu d’air. Son fils se plaint d’avoir chaud. Ah, les sales bêtes que sont les enfants. Il miaule : Ça fait une heure qu’on est là au moins ! C’est bientôt fini ? Tiens-toi tranquille, tu vas me faire rater ma vente. Je lui propose un verre d’eau. Il accepte. Sa mère finit par se rhabiller et par passer à la caisse, mais là, patatras : la carte bleue ne passe pas. Aïe. Elle propose d’aller retirer des sous au distributeur du coin de la rue. Son fils refuse de l’accompagner : finalement il a l’air bien installé sur le banc, en plein milieu de la boutique.
Je reste donc en tête à tête avec le bambin, qui ne me quitte pas des yeux. Prise de court, je lui file deux Arlequins, qu’il se met à suçoter à grands bruits. Sa mère revient, elle est ravie de le retrouver en bon état. Mais elle doit à présent aller à la Poste, car elle n’arrive toujours pas à retirer des sous. Cette fois, elle ne laisse pas le choix à sa progéniture : Tu m’accompagnes, tu ne peux pas rester là comme ça, et si la dame a des clients ? Et le petit monstre répond, en me regardant dans les yeux : Mais elle a pas de clients, la dame ! Etouffe-toi avec un Arlequin, c’est tout ce que je te souhaite !
Ma cliente habituelle (celle à la culotte transparente)
Une fin de matinée tranquille, voilà quelqu’un à la porte que je reconnais : ma cliente de quartier, qui s’arrête de temps en temps me dire bonjour (et accessoirement acheter des trucs). Aujourd’hui, elle cherche un maillot pour partir en cure en Normandie. Le souci, c’est que la dame fait un bonnet C, et des maillots deux-pièces en bonnet C, je n’en ai pas beaucoup cette année. Le seul que je peux lui proposer, c’est un maillot qui se noue sur la nuque, avec un imprimé fluo à fleurs rouges, vertes et noires. Je suis personnellement un peu sceptique. La dame, elle, adore. Ça fera sensation sur la côte normande ça ! Ah, ça c’est sûr, surtout avec la culotte à volants assortie !
Les futurs just married
Un couple pousse la porte de la boutique en fin de journée. Je les reconnais, ils sont déjà venus : ils ont entre vingt-cinq et trente ans, la jeune femme a un super sourire, elle a la tchatche et elle porte du 120E. Le mec a une boucle d’oreille à l’oreille droite, un corps un peu bodybuildé et il ne peut pas s’empêcher de tripoter sa copine. Celle-ci m’explique qu’elle a acheté une robe chez New Look et qu’elle cherche un soutien-gorge, sans doute bandeau, à mettre en dessous. Elle enfile le soutien-gorge avec la robe par-dessus, une robe longue à strass, un truc wow quoi. Je lui demande si c’est pour une occasion particulière. Oui, dans trois jours on se marie à Las Vegas ! Ah très bien. Après les félicitations de rigueur, elle me pose tout un tas de questions : la robe ne serait-elle pas trop longue ? Que pourrait-elle bien mettre dessus : boléro, veste… ? Je suggère un châle (léger hein, vu les températures de Vegas), elle trouve l’idée très bonne. J’ajuste la robe, elle ajuste ses seins, le résultat est satisfaisant. Son futur mari la regarde amoureusement essayer sa tenue (malgré le fait que c’est sensé porter malheur !). Ils sont trop mignons. J’espère qu’ils vont bien se marrer aux US.
Les petits seins relous
Attention, loin de moi l’idée de critiquer les filles à (plus) petits seins ; si je n’ai pas de 85B dans ma boutique, ce n’est pas par conviction personnelle, c’est juste que ce n’est pas dans mon business model. Je me concentre surtout sur les tailles difficiles à trouver par ailleurs. Il y a des filles qui entrent dans la boutique sans le savoir, et c’est très bien, c’est même fait exprès. Généralement, elles concluent Bon, ce n’est pas pour moi, mais donnez-moi une carte, j’en parlerai à ma mère/ma sœur/ma copine… Bref, des non-clientes adorables.
Et puis il y a les reloues, celles qui prennent personnellement le fait d’être exclues de ma gamme de taille. Il y en a une l’autre soir, qui, à l’annonce du concept, a pris un air dégoûté et m’a dit Bah c’est dommage ça, c’est idiot de ne pas faire toutes les tailles. Je lui explique que soit j’étends ma gamme de taille, soit j’étends mon choix dans les tailles que je travaille déjà, et j’ai choisi cette deuxième option. Je lui propose quand même une carte : mouvement de refus. Je tente Non, pas pour vous, mais peut-être que vous avez une amie que ça peut intéresser ? Et là, elle me lance avant de quitter les lieux : Oh non ça va, je vais pas commencer à faire du repérage pour tout le monde. Et bonne soirée à toi aussi.
Notons aussi quelque chose d’assez symptomatique : les filles toutes menues (à gros ou petits seins, je ne sais pas, je n’arrive pas à voir avec leur manteau) qui s’arrêtent devant la vitrine avec leurs copains à mèches. Généralement, la scène suit le scénario suivant :
La fille : Oh, c’est trop mignon cette boutique, regarde comme il est beau cet ensemble !
Le garçon, qui essaie d’être perspicace mais qui se plante : Tu sais, je crois qu’ils ne font que des grandes tailles.
La fille : Ah bon, tu crois ? Tu penses que c’est trop grand pour moi ça ?
Le garçon, sûr de lui : Bah évidemment ! On peut en mettre deux comme toi, dans cette culotte ! (et évidemment, je n’ai qu’une seule taille de culotte dans tout le magasin, hein. Pas plus grand, pas plus petit, c’est la même taille pour tout le monde. Pourtant, je mets exprès des « petites » tailles (40 ou 42) en vitrine, pour ne pas effrayer les hipsters méchus).
La fille, faussement pas convaincue : Ah ben si tu le dis, je ne me rends pas compte…
Le garçon, qui en rajoute pour la convaincre de ne surtout pas rentrer là et lui faire perdre une demi-heure : Mais enfin, c’est évident ! Regarde ce bonnet-là, je pourrais y rentrer ma tête ! C’est fou, j’ai jamais vu ça, c’est vraiment énorme !
(Pareil que les culottes : je n’ai qu’un bonnet dans tout le magasin. En vitrine, c’est pareil, je mets exprès du 90D, pour ne pas que ça paraisse trop hors norme. Les filles bien en chair n’hésitent jamais à pousser la porte. Mais les minces, qui pourraient potentiellement bien faire du D ou plus quand même, hésitent toujours, malgré le 40 et les petits dos.)
La fille, souriante, rassurée que son copain la trouve toute mince et toute belle avec sa poitrine « normale » : Oui, tu dois avoir raison. On y va.
Le rigolo à capuche
Ils sont trois, des jeunes en mode survêt et capuche, qui parlent fort en passant dans la rue. Au niveau de ma boutique, ils s’arrêtent en bloc, aux cris de l’un d’entre eux. Je relève la tête, vaguement inquiète. Il y en un qui s’est planté devant la vitrine, et qui s’exclame à tue-tête devant le poster d’un mannequin grande taille : Ma femme ! Ils ont mis ma femme dans la vitrine ! Regardez ça les mecs ! C’est ma femme, même si elle ne le sait pas !
Les mecs chelous
Il en entre à peu près deux fois par semaine, voici donc les deux cas les plus récents. L’avant-dernière fois, il s’agit d’un homme d’environ cinquante ans et de son fils (je suppose). Le père porte une djellaba et le fils un jean. Le père montre un soutien-gorge blanc du doigt : C’est combien celui-là ? Je lui demande en quelle taille. Il dit Je ne sais pas, n’importe. Comment ça, n’importe ? Je lui réponds que je ne sais pas quelle taille lui donner, elle fait quelle taille la dame pour qui il l’achète ? Il me dit 95C. Je lui dis que je n’en ai pas, je n’ai que du 95D. Il me dit Très bien, ça va très bien aussi. Clairement, ce monsieur ne maîtrise pas les bases du bra fitting et du conseil en lingerie. Il me dit de mettre une culotte avec aussi. La taille est toujours aussi vague. Il finit par dire 42. Je lui fais un paquet, et au moment de payer, il me sort des billets. De gros billets. Ça fait tilt dans ma tête. Il veut payer avec un billet de deux cents. Je n’aime pas trop ça. Je regarde ma caisse et je lui explique je n’ai pas assez de monnaie pour lui rendre, ce qui est vrai. Il veut voir lui-même dans ma caisse. Je refuse poliment mais fermement. Son fils s’est aussi rapproché du comptoir. Je ne me sens pas super à l’aise. Le mec insiste, mais au final il me dit D’accord, je reviens tout de suite, je vais faire de la monnaie. Il part avec son présumé fils, sans le soutien-gorge évidemment. Il ne reviendra jamais.
Le dernier relou vient de partir. Un mec en parka verte, également une cinquantaine d’années. Il entre et il me demande si je parle anglais. Je pense à un touriste, je réponds oui. Il veut savoir s’il y a de la soie dans cette nuisette rose. Je lui explique qu’en partie seulement, il n’a pas trop l’air de m’écouter. Il me demande le prix de la nuisette. Puis le prix de trois nuisettes comme elle. Je lui demande dans quelle taille. C’est reparti. Il me répond (en anglais) : 38, 37, 40. Le jour où tu trouves une fringue en 37, tu me l’apportes surtout. Je lui dis que je n’ai que du 42. Il dit que ça ira. Il me redemande le prix de trois nuisettes. Je réponds logiquement 150 euros. Il me dit And in dollars, how much ? Mais que veux-tu que j’en sache ? Il me dit Write it on a paper. Je repasse derrière le comptoir. Il sort une liasse de billets et à nouveau, je sens venir l’embrouille. Je le préviens direct : You can only pay by credit card. Le mec est déçu, il me dit Oh really ? OK, I will come back. Une demi-heure après, il n’est toujours pas là. Et je ne pense pas que je le reverrai.