Les clients de la semaine (5)

Publié le 25 Avril 2013

Bon, je m’étais promis que la prochaine fois que je bloggais, ce n’était pas à propos de la boutique. Je voulais parler de magazines féminins, de sexe, de physique quantique et de plein d’autres choses, mais que voulez-vous : quand la vie met sur mon chemin des spécimen aussi palpitants que Les clients de la semaine, je suis obligée de vous en parler.

L’énorme reloue

Elle vient de quitter la boutique et m’a décidée à écrire ce post spontanément. Une dame d’environ cinquante ans, tout à fait normale en apparence. Elle entre, elle pose ses affaires, elle fait un petit tour en me parlant. Je m’approche : que cherche-t-elle ? Quelle taille fait-elle ? Qu’aime-t-elle ? Elle me dit qu’elle veut un minimizer, c’est-à-dire, pour les non-initiés, un soutien-gorge qui diminue visuellement la poitrine en la répartissant différemment. Je lui montre le minimizer que je vends : Ah non, mais un minimizer pas moche. Oui mais ça, ça n’existe pas : un balconnet qui diminue la poitrine, j’ai encore jamais vu. [Ça se trouve, tout ceci est très obscur pour mes lecteurs qui bossent en marketing ou en finance, je suis désolée]. On continue à regarder : Ah non, je ne mets jamais de soutien-gorge à coques, pourquoi j’en mettrai, j’ai pas besoin de plus ! Ah non, cette matière j’aime pas du tout. Oh, ça se voit que ça ne tient rien, ça. Il a l’air inconfortable celui-là, les armatures sont dures, ça doit serrer ! Oulà, mais il est beaucoup trop grand ce bonnet ! Faîtes voir la culotte qui va avec ? Ah non mais je n’aime pas du tout cette forme, quand est-ce qu’ils vont faire des culottes taille haute ? Ah, vous en avez ? Ah, mais elles ne sont pas 100% coton je parie ? Moi je ne mets que ça, j’ai les fesses très fragiles.

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De temps en temps, j’essaie de répondre à ces idioties (Les coques ne grossissent pas du tout la poitrine en fait ; Les armatures doivent être un peu dures vous savez, si elles se déforment elles ne maintiennent rien ; non mais c’est normal que ça a l’air grand, ce n’est pas votre bonnet ; la matière des bonnets n’a rien à voir avec la tenue du soutien-gorge au final ; etc etc…) Mais la dame est trop forte et m’entraîne dans son torrent de non-sens. Au final elle me dit qu’elle a bien envie d’essayer un modèle. Je vais lui mettre en cabine et tout, mais au final, elle ne l’essaiera pas car elle a la flemme de se déshabiller pour un seul soutien-gorge, vu qu’il faut toujours en essayer au moins cinq ou six pour en trouver un. A ce point-là de la discussion, j’ai juste envie qu’elle s’en aille. Elle repère un imprimé qu’elle aime bien, mais je lui précise que je ne le lui ai pas proposé car ce modèle commence au 105 en tour de dos (elle fait un 95). Elle s’exclame : Heureusement que je n’en suis pas là, vous imaginez ? Parce qu’elle m’énerve, je réponds : Moi c’est ma taille, et je le vis plutôt bien (en fait je fais du 100, mais j’aurais répondu n’importe quoi pour me défouler). Du coup elle ne sait plus trop quoi dire. Elle me demande : Quand est-ce que vous allez recevoir de nouvelles choses dans des plus petites tailles ? Je lui réexplique patiemment que j’ai sa taille dans quasiment tous les modèles. Et elle me répond : Oui, mais je n’en aime aucun.

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Je la vois rassembler ses sacs et je jubile d’avance au sujet de son départ, quand elle me dit : Oh là là, j’ai un mal de dos ! Ça ne vous embête pas que je m’assois un moment ? Argh non pitié. Elle s’installe, elle boit un peu d’eau, elle me parle de ses seins, puis de ses fesses, puis de telle boutique, puis de sa fille, elle fait une retouche rouge à lèvres dans la glace, et enfin, pile quand je n’y croyais plus et que je faisais semblant de plier une culotte depuis dix minutes, elle quitte les lieux. Sauvée. Pour cette fois.

La fille très très mince aux gros seins

Celle-là, j’avoue que j’avais du mal à croire à son existence. A force de lire des blogs de boobs sans arrêt, j’avais lu pas mal d’articles de filles qui se plaignaient de ne jamais trouver des tours de dos assez petits (en dessous de 75 cm) avec des bonnets en D et plus. Mais pour moi, ça restait de l’ordre du théorique, comme les licornes et le chat de Schrödinger. Pourtant, aujourd’hui, une jeune fille entre dans ma boutique munie de son mec. Elle a tout le temps mal sur les côtés du sein avec son soutien-gorge actuel (85B), elle ne se sent pas maintenue au niveau du dos (quand elle lève les bras, les armatures s’écartent de son torse) : c’est clair qu’elle ne porte pas la bonne taille. Je prends ses mesures, et là, le miracle : la jeune fille fait un 75E. Ma licorne est devant moi, toute pleine d’espoir. Le souci, c’est que je ne fais pas encore de 75E pour le moment, ayant récemment étendu ma gamme aux petits dos (80 et 85). Mais elle est si chou que je propose de lui en commander un pour la semaine prochaine, qu’on voit si c’est bien sa taille et si elle est mieux dedans. Dans ces moments-là, la lingerie c’est plus qu’un métier : c’est une vocation qui sauve des vies. Si si.

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La gentille dame japonaise

J’en ai déjà parlé brièvement sur Facebook : une dame japonaise, d’une soixantaine d’années. Je dis qu’elle est japonaise parce qu’elle se penche en avant pour me saluer, et qu’elle émet des onomatopées qui me semblent japonisants. Cela dit, ma non-maîtrise totale de la langue de Mishima ne me permet pas vraiment de juger. Bref, la dame rentre, regarde quelques modèles, puis se tourne vers moi. Cent, me dit-elle. Cent… J’en déduis que c’est son tour de dos. Je lui demande quel bonnet : D, me dit-elle. C’est parti pour l’essayage. A chaque fois, elle me montre, et elle me fait le signe du OK en faisant un O avec le pouce et le majeur. Une fois, ce n’est pas OK : le bonnet est trop petit. J’essaie de lui expliquer, mais au final je lui apporte juste une autre taille. Elle repart avec deux soutiens-gorge complètement pop, l’un orange à pois, l’autre rose vif. Elle paie en liquide et elle me fait au moins trois courbettes de courtoisie en partant, auxquelles je réponds comme il se doit. Je l’aime bien.

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Et cette semaine, devinez qui repasse devant la boutique : ma Japonaise ! Cette fois, elle est habillée des pieds à la tête en vert vif avec un nœud papillon noir, et elle trimballe comme l’autre fois une demi-douzaine de sacs de shopping. Elle a flashé sur le soutien-gorge rose fluo exposé en vitrine, mais je n’ai pas sa taille dans ce modèle. Grosse déception de la dame. Je finis par lui dire que je l’aurai sûrement la semaine prochaine (même si ce n’est pas vrai). Elle finit par comprendre, enfin je crois. En tous cas elle s’en va. Mais elle se ravise vite : je la vois entrer à nouveau dans la boutique, sortir un mouchoir en papier d’un paquet, y mettre un pain au chocolat et me le tendre. Je suis super émue de ma gentille dame japonaise ! Elle me dit, en prononçant bien comme il faut : C’est un petit cadeau. Elle est trop chou ! Du coup je lui fais une courbette, elle me fait une courbette, et nous nous quittons bonnes amies. Sayonara !

Les piques-niqueurs du dimanche

Ils sont trois, deux mecs et une fille, entre vingt-cinq et trente ans. Ils se sont installés sur le trottoir juste devant la porte de la boutique, ils ont sorti qui une pomme, qui un sandwich. Ils pique-niquent, quoi. Il est quatre heures de l’après-midi. Je les hais. Il y en a un qui sort un bouquin, ils parlent d’une pièce dans laquelle ils jouent. Je finis par aller leur dire de se pousser gentiment, et je me sens terriblement chiante, relou et le suppôt du capitalisme contre les artistes. Mais bon, ma porte est dégagée, c’est l’important.

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Je me rends compte aussi que je ne vous ai jamais parlé de mes voisins de rue, c’est-à-dire des autres commerçants qui m’entourent. Il faut dire que je ne les fréquente pas vraiment. J’ai deux pseudo-potes : la dame des bagels (forcément) et une dame qui tient une boutique pour enfants assez sympa. Toutes les deux veulent monter un plan d’action pour essayer de capter un peu du flux piétonnier de la rue Montorgueil. Elles m’ont convié à une réunion un soir de semaine, pour réfléchir ensemble à des idées type harcèlement de la mairie pour qu’elle installe des panneaux, ou distribution de flyers communs en bout de rue. Mais on n’a pas encore réussi à trouver une date pour cette fameuse réunion au sommet, parce que la dame des enfants a elle-même une petite fille, et elle habite à la Garenne-Colombes, etc etc.

Sinon, il y a ma voisine d’en face, une dame qui est infirmière le matin et qui tient une boutique de déco l’après-midi. Mais surtout, elle loue une salle en sous-sol à des groupes de musique, de théâtre ou de danse (du genre les pique-niqueurs du dimanche). Je soupçonne que l’essentiel de ses revenus vient de là, parce que je ne vois jamais un client chez elle. Des amis, ça, oui : pas une minute sans qu’un mec avec douze chiens, une dame avec une canette de bière, ou deux Messieurs qui parlent de foot ne s’arrêtent discuter avec elle. Elle connaît plein de monde, mais seulement des gens chelous. Du coup, elle me fait un peu peur et je suis sur mes gardes avec elle. Mais je sais très bien qu’elle et les deux filles de l’agence immobilière d’à côté me trouvent un peu snob. Déjà, je ne fume pas, donc je ne suis jamais devant ma porte à cloper, comme elles trois. Je ne sors pas souvent. Je m’arrête rarement pour discuter. Là, la saison des apéros de rue va commencer, tout le monde va sortir sa chaise devant son magasin et boire des binouzes dehors, je vais être obligée de socialiser un minimum : ça me flippe d’avance. Moi les gens, j’aime pas trop ça.

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Rédigé par Nombre Premier

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