Lettre à Jean Dujardin

Publié le 5 Mars 2012

Cher Jean Dujardin,

J’ai failli tomber amoureuse de toi, vendredi soir.

J’ai bien conscience que cette entrée en matière est un peu abrupte. Mille excuses. Je reprends plus civilement. Comment ça va, Oscar boy ? Superbement bien, évidemment. 2012, c’est ton année. J’espère que tu as bien profité des US, des prix, de la gloire et tout et tout. Oserais-je t’avouer que je n’ai toujours pas vu The Artist, et qu’en plus, il n’est pas prévu à mon programme ? Je suis vraiment une fucking hipster. Il suffit que tout le monde encense un film pour que je perde illico toute envie de le voir. Il faut dire qu’il ne branchait pas d’emblée : le muet, le chien qui sautille, le rétro moderne, ce n’est généralement pas ma tasse de thé. Pourtant, il doit être excellent, ce film, vu l’avalanche de récompenses qu’il a reçues. Et toi aussi, tu devais être incroyable dedans.

Mais ce n’est pas en voyant The Artist que j’ai failli tomber en amour avec toi. C’est en voyant Les infidèles, vendredi soir, avec Collègue Blonde (c’est ma collègue de bureau, elle est très sympa, mais elle n’a pas trop aimé ton film by the way).

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J’avais vu la bande-annonce avant d’y aller et je m’étais dis : Ca, c’est du Jean Dujardin pré-Artist. Le bon vieux JD, quoi, le déconneur, le beauf qui fait rigoler, Brice de Nice, Loulou… Pas le pince-sans-rire d’OSS 117, non, le gros lourd ras-les-pâquerettes. Autant dire que ça ne partait pas très bien, cette histoire. Les infidèles, c’est un film à sketches. Si la saynète d’ouverture et celle de clôture se répondent, au milieu, plusieurs mini-histoires s’enchaînent et s’entrecroisent indépendamment les unes des autres. Et heureusement, parce qu’il y a du bon et du moins bon, sans surprises. Promis, il n’y a pas de spoiler dans ce qui suit (non parce que ceci est en fait une lettre ouverte, donc je précise pour les autres gens éventuels qui la lirait).

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Ce sketch d’ouverture, donc, ne frôle pas le vulgaire : il l’est. Gilles Lellouche et toi, vous jouez deux connards qui baisent tristement, sans y penser, sans panache. Efficace et rentre-dedans, même si vous en faites des tonnes volontairement. C’est ton film, Les infidèles. Tu l’as co-produit, co-scénarisé, et co-réalisé. C’est un peu ton bébé, quoi. Ton bébé fait rire la salle, et les filles se mettent la main sur la bouche, légèrement scandalisées. Rien que du très attendu jusque là, permets-moi de te le dire, mais pourquoi pas, parfois c'est marrant. Je me pensais partie pour une heure et demie de rire gras et de facepalm occasionnel.

Et puis, il y a le deuxième sketch. Tu joues encore un gros relou, mais différent. Seul. Un genre de commercial pitoyable, médiocre, lâche et sexiste. Une horreur. Et tu réussis à ce que 1.Je m’identifie, 2.Je m’attache, 3.Je compatisse. C’est fort. J’occulte complètement l’aspect infidèle du personnage tant la description de sa solitude lors d’un séminaire d’entreprise me touche, je ne sais pas pourquoi. Ce n’est pourtant ni particulièrement poétique, ni particulièrement original. Mais ça sonne très juste. Ca me plaît. Je me sens vaguement émue, et je commence à penser à toi différemment. Tu vois, ça tient à pas grand-chose, les coups de cœur.

Les sketches suivants sont tous différents, certains plus vulgaires que d’autres, mais tous me plaisent. Celui avec ta femme dans la vraie vie, Alexandra Lamy, est vraiment intéressant, moderne, coup-de-poing, au point que la salle applaudit spontanément. Celui où Gilles Lellouche développe un syndrome de sugar daddy me plaît aussi beaucoup, il est cruel et drôle à la fois. Tes personnages sont paumés et méprisables, mais tous sonnent justes, et ont une profondeur et des états d’âme inattendus pour un film présenté comme une comédie. J’en viens à me dire que je me suis complètement trompée sur ton compte. Tu as un vrai talent pas seulement comique, et surtout des choses à dire. Et tu n’es pas mal du tout physiquement, finalement. Bref, j’ai des étoiles dans les yeux et je suis prête à te faire une pub d’enfer auprès de mon entourage.

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Sauf que, patatras. Le sketch final, qui répond au premier. La fin est nulle, abyssalement nulle. Caricaturale au possible, surjouée exprès mais du coup pas du tout en adéquation avec le reste du film. Et ça gâche tout, parce qu’on termine sur un humour digne de Brice de Nice, facile et lourd, qui fait certes hurler la salle de rire, mais qui me déçoit profondément. Je me dis : « Comment peut-il avoir décidé de terminer là-dessus ? » Et voilà, Les infidèles est passée de potentiel OFNI (Objet Filmographique Non Identifié) réussi à grosse daube à mater en streaming le dimanche soir.

Ok, tu me répondras : « Je te trouve un peu dure, pourquoi dédaigner tout un film simplement parce que la fin ne te plaît pas ? » Et tu auras raison, Jean. Mais, comme tu as dû t’en apercevoir en faisant ton discours de remerciement aux Oscars, il suffit parfois d’un mot malheureux comme « putain » ou d’une fin bâclée pour perdre toute crédibilité. Dans mon cas, tu as juste perdu une groupie en herbe. Je ne m’inquiète pas, tu en as encore un bon paquet. C'est simplement dommage, ce rendez-vous manqué, ces espoirs que je m'étais faits, partis en fumée pour quelques blagues malheureuses. Si tu tires la révérence avec un peu plus de classe la prochaine fois, il y a moyen que je te kiffe comme jamais. 

Allez, sans rancune. On se donne rendez-vous pour ton prochain film, mais pitié: plus de muet, plus de chien qui fait des cabrioles, et plus d'humour pourri. You can do it, Jean. Just believe in yourself!

Ta presque-dévouée,

Nombre Premier

Rédigé par Nombre Premier

Publié dans #Films TV Books & Music

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