Nerds: we need more of them
Publié le 30 Novembre 2011
Nerds : who they are and why do we need more of them. C’est le livre que je lis en ce moment. L’auteur, David Anderreg, a un PhD en psychologie et travaille comme thérapiste pour enfants depuis plus de vingt ans. Sur sa bio disponible sur Internet, il nous apprend qu’il est né en 1953, qu’il vit dans une petite ville tranquille des Etats-Unis avec sa femme Kelley : ils ont deux enfants, Francesca et Peter, tous deux musiciens professionnels. J’aime bien connaître un peu la vie privée des psychologues, vu leur domaine de compétence, c’est toujours instructif.
Dans cet ouvrage, David se penche sur les nerds, ces forts en sciences marginalisés par leurs pairs. L’auteur s’interroge sur le « racisme ordinaire » qui transparaît à travers les blagues sur les geeks ou les nerds, sur leur absence de vie sociale ou sentimentale, sur leur statut de loser. Il soutient que même si les adultes jouent avec ces stéréotypes au second degré car ils ont du recul et savent que les nerds, finalement, s’en sortent bien dans la vie, les enfants, eux, sont profondément affectés par ces clichés ambiants. Je ne compte pas vous résumer tout l’essai, ce serait trop long et je ne l’ai pas fini de toute façon. Mais ce matin, sur la ligne 3, j’ai lu un extrait vraiment intéressant.
Devant le manque de chercheurs d’origine américaine distingués pour leurs travaux scientifiques, le gouvernement a décidé, depuis le milieu des années 80, d’améliorer le niveau en maths de ses élèves. L'objectif pour l’an 2000 était d'avoir le meilleur niveau mondial. Bien sûr, on en est loin. Mais il y a tout de même eu une amélioration concernant le niveau des élèves d’elementary school (fréquentée jusqu’à l’âge de 14 ans). Par contre, aucune répercussion de cette amélioration sur ceux de middle school (de 14 à 16 ans). Notre ami David a une réponse bien à lui : c’est à cause du sexe.
Non, David ne vit pas dans Twilight et il n’est a priori pas mormon, il ne condamne donc pas le sexe en lui-même. Il fait un constat assez universel : entre 14 et 16 ans, les ados commencent/continuent à penser au sexe. Quand est ce que je vais perdre ma virginité, avec qui, comment, pourquoi, qu’est ce qu’un gode ceinture etc. Certes, ça peut clairement les distraire de leur travail scolaire, mais là n’est pas le souci. Les ados se demandent quand et comment ils vont se trouver un copain/une copine/une choppe. Ils veulent plaire au sexe opposé et c’est normal. Or, comme développé dans la première partie du bouquin, ils ont intégré très tôt qu’un nerd, c’est quelqu’un qui est super fort en maths, en physique et en bio, et qui n’a pas de copine. L’intelligence et la beauté semblent antinomiques, mutually exclusive. David pense donc que les ados se montrent plus bêtes qu’ils ne le sont pour ne pas faire fuir le sexe opposé.
Ce n’est qu’une théorie, mais ça ne me paraît pas impossible. Aux Etats-Unis, l’univers scolaire n’a rien à voir avec celui de la France par exemple, qui fait office de garderie Bisounours à côté. Là-bas, c’est le règne des cliques, de la hiérarchie sociale, de la peer pressure, des activités extrascolaires qui te définissent et t’attribuent des amis et un statut social que tu ne quitteras plus jusqu’à l’université. Les high school movies en font des tonnes, mais ils s’appuient sur une réalité. Du coup, le regard des autres et la case dans laquelle ils te mettent sont déterminants pour éviter d’être marginalisé pendant plusieurs années. Et cet univers laisse moins de place aux nuances que les écoles françaises, à mon avis. Difficile de dépasser du moule. Un nerd attirant n’a pas de sens : ceux qui sont les plus attirants, ce sont les jocks, les sportifs. Idem pour les filles et les cheerleaders. Le nerd est donc le dernier dans la hiérarchie des choppables. Par peur d’être pris pour l’un d’entre eux, les ados se font volontairement plus bêtes qu’ils ne le sont.
David avance un argument intéressant : il dit que ce stratagème du dumbing down (de se faire passer pour plus bête que l’on est) est utilisé depuis des siècles par… les femmes. Ah, les femmes. Pour préserver l’ego masculin, petite chose fragile, et pouvoir copuler ou faire des enfants, elles ont appris à ne pas avoir l’air trop intelligent auprès des hommes. Comme ça, le mâle ne se sent pas menacé, c’est bien lui l’être supérieur, il est rassuré. Un peu comme ces filles qui ne doivent pas être trop drôles (cf cet article). Un bon exemple : Lindsay Lohan dans Mean Girls (Lolita Malgré Moi). Elle est super forte en maths et elle se fait passer pour une nulle, comme ça elle prend des cours particuliers avec le beau gosse footballeur (super nul pour de vrai, lui).
Quand je tape 58008 et que je regarde ma calculette à l'envers, ça fait BOOBS... Message caché?
Bon, il y a deux éléments assez peu réalistes. Premièrement, vu la taille des seins de Lindsay et ses tâches de rousseur trop choupi, elle pourrait enseigner la physique nucléaire que les mecs feraient quand même la queue pour la dater. Deuxièmement, pourquoi une fille aussi brillante qu’elle s’amourache-t-elle d’un mec comme Aaron, qui sort avec l’insupportable (dans le film) Rachel McAdams ? Mystère. Les hormones, les hormones. Bref. Les filles ont compris que l’intelligence pouvait effrayer le mâle et ont donc parfois pris l’habitude de la déguiser. Les hommes, d’après David, ont entamé le même processus de séparation de séduction et de ciboulot, car ils se sentent de plus en plus soumis à des normes esthétiques strictes (un peu comme les poulets AOC).
Ce cher David prend l’exemple des figurines GI Joe. En 1964, le GI Joe de base, ramené à une taille humaine, aurait eu un tour de biceps de 30,5 cm. C’est déjà pas mal. En 2000, ce même GI Joe aurait eu des biceps de 69 cm de circonférence. Les attentes des femmes concernant le physique sont de plus en plus nombreuses, à l’image de celles qu’elles ressentent de la part des hommes depuis des siècles. Par exemple, le récemment reconnu complexe d’Adonis désigne une pathologie masculine qui consiste à être obsédé par son corps et à le maltraiter pour qu’il soit à la hauteur de ses exigences (un peu selon le même principe que l’anorexie). La pression se situe maintenant dans les deux camps, et plus celle-ci se fait sentir, plus les hommes refusent d’être assimilés à ceux qui ne sont pas capables d’avoir une copine : les nerds.
Conclusion de David : le niveau en maths des élèves de middle school n’augmente pas car ils refusent d’être assimilés à des nerds en se montrant brillants, par crainte d’arriver puceaux à l’université (grande préoccupation de la plupart des personnages des high school movies).
Bien sûr, ça se discute, mais c’est un point de vue courageux et intéressant. Il y a ensuite un parallèle avec les pays globalement moins éduqués où le savoir est toujours extrêmement valorisé et qui produisent du coup plus de chercheurs et de scientifiques brillants, comme l’Inde. Puis un chapitre sur pourquoi, historiquement, la culture américaine se méfie des intellectuels et valorise l’homme de bon sens « de base ». J’en suis à peu près là. Et j’ai hâte de lire la suite !