Pas envie
Publié le 16 Février 2012
En cette semaine de Saint-Valentin, non seulement on nous a bassinés avec l’amour, mais on nous a aussi matraqués à coups de sexe (au sens figuratif, évidemment, merci de chasser tout de suite cette image de ta tête). Dans les magazines masculins comme féminins, à côté de la page « Bien vivre sa Saint-Valentin » (du genre « Je suis célibataire mais je m’en fous », « Je suis en couple et j’en profite »), il y avait tout le temps une page : « Quoi lui offrir ? » Et autant dire que là, on n’était pas chez les bisounours. Il y avait plus de culottes fendues à froufrous et de sextoys à six vitesses que de chocolats ou de bouquets de fleurs. Même la fête de l’amour, si commerciale soit-elle, est devenue la fête du sexe. Du sexe seul, à deux, à plusieurs, en couple, avec un coup d’un soir, un sex friend, une fille, un garçon, les deux, sur la table de la cuisine, en club échangiste, le premier soir ou après une rupture, à la photocopieuse et le matin au réveil…
Oui, mais on fait quoi, si on n’a pas envie ?
Je ne parle pas des petites baisses de forme ponctuelles, le fameux cliché des migraines féminines ou les endormissements involontaires masculins. De façon plus globale, on n’a pas forcément tout le temps envie de sexe dans sa vie. Certains ont une libido plus modeste que d’autres ; ça dépend aussi des périodes de la vie, de ce que l’on traverse. Et vu l’atmosphère hyper sexualisée de notre société moderne, doit-on se sentir mal ou coupable quand on n’a juste pas envie de coucher ?
Je suis tombée sur une interview de Sophie Fontanel (les lecteurs ou lectrices d’Elle la connaissent peut-être sous le pseudo Fonelle). Elle a écrit en 2011 un livre intitulée L’envie, où elle revient sur une période de sa vie où justement, elle n’avait pas envie. Dans son cas, c’était après une série d’expériences sexuelles malheureuses qu’elle a voulu se libérer de la pression sexuelle. Elle dit : Je crois que ce que j’ai fui, c’est le côté réaliste et mécanique du rapport sexuel. Je peux la comprendre. Le sexe, ce n’est réussi que quand on arrive à transcender ce côté « emboîtement des chairs », cet aspect interchangeable et biologique du rapport. Il faut réussir à y apporter autre chose, de l’amour le plus souvent, du désir physique au moins, de la passion, de la rage, un rapport de force, un fantasme, bref, quelque chose qui fait qu’on n’est pas juste en train de jouer à ça :
Mais parfois, nous ou l’autre, on n’a rien à apporter, là tout de suite. Donc l’acte sexuel peut vite perdre de l’intérêt. Au point que l’amie Sophie préférait se réfugier dans sa tête, dans ses fantasmes, et supprimer autrui de sa vie sexuelle pour se concentrer sur elle-même. Pourquoi pas. Par contre, comme elle le dit, en société, c’est dur à défendre. Il y a des normes sociales sur le couple, l’amour, le travail… et il y en a aussi sur le sexe. Quelqu’un qui n’a pas de vie sexuelle à deux (ou à plus de deux), on en déduit toujours que ça ne peut pas être un choix. Qu’il subit forcément cette situation et qu’il n’a qu’une hâte, y mettre fin. La sexologue interviewée dans le cadre de l’article précise : Aujourd’hui, ne pas avoir de vie sexuelle, c’est ne pas avoir de valeur, c’est ne pas avoir été choisi. Valorisé et choisi par un autre. On peut se soustraire à cet autre et vivre heureux en solo. Mais ce n’est pas évident d’échapper aux normes, qui, comme l’ajoute la sexologue, peuvent créer des angoisses et des souffrances si on ne colle pas au modèle ambiant, celui de la performance ou de l’orgasme multiple notamment.
Et on est reparti sur des considérations du type « c’était mieux avant » : à force de parler sans arrêt de sexe sous toutes ses formes, on ne sait plus quoi inventer, les gens se lassent, se créent des complexes et entretiennent des illusions. C’est la tendance sexe vanille apparue ces dernières années : pratiquer le sexe conventionnel, loin de toutes les élucubrations du porno et des médias. Back to basics, en quelque sorte. Comme le dit l’article, bye-bye l’épidémie sodomie et le sextoy de rigueur, en écho aux paroles que prête Sophie Fontanel à ses lecteurs : Bon sang, comme j’aimerais reprendre tout ça de zéro ! Comme j’aimerais revenir à une sexualité plus simple, avec moins de moyens de comparaisons et donc moins de normes, donc moins de pression, donc paradoxalement plus de liberté ?
Sauf que, quand même, parler de sexe, ça a du bon. On est d’accord, ce n’est pas du patinage artistique, il n’y a pas de figures imposées et ce n’est pas parce qu’on case un triple axel piqué qu’on aura une meilleure note (et d’ailleurs, il n’y a pas de notes. Enfin je crois. Je n’ai jamais reçu mon bulletin). Du coup, je trouve qu’un bon moyen de vivre la « culture sexe » est de prendre ça comme un champ des possibles. C’est toujours bon d’élargir ses horizons, de se tenir au courant des pratiques, de se créer une base de données en quelque sorte. Ensuite, à voir si on pioche dedans ou pas, à plus ou moins long terme. Et si on n’a pas envie à deux, ça nourrira notre imagination pour quand on est tout seul.
Sinon, je dirais qu’il y a plein d’autres raisons pour laquelle on peut ne pas avoir envie de faire l’amour, autre que des raisons « psychologiques » comme dans le cas de Fonelle. Les hormones d’abord. Oui Messieurs, il serait bon de rappeler que, quand votre tendre moitié décide de prendre la pilule (parce qu’elle ne prend pas forcément la pilule depuis ses douze ans, vous savez), elle subit de plein fouet un bon paquet de changements hormonaux. En gros, la pilule agit de deux façons : elle stoppe la production des hormones responsables de l’ovulation, et elle instaure un niveau artificiel de progestérone et d’œstrogènes qui font croire à l’organisme féminin qu’il en est au premier stade d’une grossesse. Comme ça, il n’y a définitivement aucune chance qu’il y ait ovule et/ou fécondation. Les conséquences de cette régulation artificielle des hormones sont potentiellement multiples : nausées, vomissements, troubles auditifs, migraines, douleurs au bas-ventre, sécheresse vaginale, syndromes dépressifs et ce qui nous intéresse, baisse du désir sexuel. La prise de la pilule n’est donc un évènement anodin ni pour le corps féminin, ni pour le couple. A noter que depuis de nombreuses années, un contraceptif masculin basé sur le même principe de régulation des hormones est à l’étude. Près de la moitié des hommes se seraient déclarés intéressés. Sont-ils prêts à laisser la science toucher à leur précieuse libido ? Ils ont encore un peu de temps pour réfléchir…
Et puis, il y a l’absence ou la quasi-absence de désir, sans que ce soit lié à des changements hormonaux. D’après Wikipedia, 1% de la population serait asexuée. L’asexualité a été reconnue comme grand courant sexuel (au même titre que l’homosexualité, l’hétérosexualité ou la bisexualité) à la fin des années 1970. Elle se caractérise par l’absence d’attirance sexuelle pour autrui. Ce n’est pas une attitude choisie, comme l’abstinence, ou une incapacité biologique à faire l’amour ou à jouir. C’est simplement une absence de désir, de pulsions sexuelles. Un asexuel peut cependant très bien faire l’amour, trouver quelqu’un beau, avoir des relations de couple, rechercher la tendresse, vouloir des enfants etc. C’est juste qu’il n’a pas réellement de désir sexuel. Je vous invite à faire un tour sur Asexuality pour en savoir plus.
Bref, je voulais juste parler de ceux qui n’ont pas envie, de moments où l’on n’a pas envie, du fait qu’on peut être heureux sans sexe, malgré tout ce qui est censé nous donner envie, malgré le désir de fou qu’on est sensé ressentir, partout, tout le temps. N’en déplaise à la pub, à Glamour, à Axe, à Hollywood etc.