Team Sam

Publié le 20 Janvier 2012

Grosse découverte aujourd’hui : j’ai un collègue geek. Enfin je crois. Il porte des boutons de manchette en forme de petits robots rouges. Il adore le Seigneur des Anneaux, au point de l’avoir vu en VO et de le citer au détour d’une phrase d’un air naturel. Mais en même temps, il est technophobe au possible et terriblement Vieille France (il pratique la chasse à courre, par exemple). Un tradi peut-il être un geek ? Nous avons eu une discussion fort intéressante sur Tolkien, où j’ai pu briller à peu de frais grâce au dossier de trente pages sur la fantasy et la science-fiction que j’avais rédigé pour mon université danoise. Il soutenait que la célébrissime trilogie datait du dix-neuvième siècle, alors qu’elle fut en fait publiée au milieu des années 50. On peut en faire un paquet d’interprétations, comme celle, bien connue, qui consiste à voir des métaphores sexuelles partout. L’œil de Sauron ressemble à un vagin, Frodon et Sam sont homosexuels…

Quand je pense à Tolkien, je pense à un énorme nerd. Un prof spécialisé en vieil anglais qui s’amuse tout seul dans sa chambre à inventer de nouvelles langues aux racines germaniques et scandinaves. Il a également œuvré au déchiffrement de codes Nazis pendant la Seconde Guerre Mondiale (dixit Wikipedia qui remarche aujourd’hui). Dans son œuvre, son esprit de système ressort nettement. L’élément le plus important de ses écrits, c’est le contexte, le fourmillement de détails parfois inutiles, comme l’accumulation des généalogies hobbits ou toutes sortes d’informations triviales sur la Terre du Milieu. Il y a un petit côté Guide du routard dans le Seigneur des anneaux.

Tolkien_young2.jpg

Young Tolkien

Un petit côté seulement, parce que bien sûr, il y a un souffle épique grâce aux batailles colossales, aux merveilles qu’il nous décrit, comme les Ents, ces arbres vivants, ou les Nazgûl, ces spectres encapuchonnés qui continuent de me faire peur à mon âge. Tolkien s’inspirait de nombreuses mythologies ; pour les arbres sages et parlants, j’aime bien me dire qu’il s’est appuyé sur la forêt de Dodone, au fin fond de la Grèce antique. Les prêtres et prêtresses de Zeus montaient au sommet des chênes et interprétaient le bruissement des feuilles pour établir des prophéties. Quand je vois Grand-Mère Feuillage dans Pocahontas ou un Ent qui dispense sa sagesse millénaire, je pense aux Grecs perchés dans le feuillage en train d’écouter des feuilles chuchoter, et ça me fait chaud au cœur.

451655Grandmerefeuillage.jpg

Quant aux Nazgûl, bonjour Harry Potter et ses Détraqueurs en capuche (même si ces derniers n’ont pas besoin de chevaucher des créatures ailées pour voler).

Bref. Donc, au vu de la lecture de certaines de ses œuvres, je m’imagine JRR Tolkien comme un mec carré, à l’esprit rigoureux et analytique, mais aussi prompt aux envolées mystiques, un réaliste romantique en somme. Les histoires d’amour sont à peine esquissées, il y a encore moins de choppes que dans Harry Potter (et ce n’est pas peu dire). D’aucuns me rétorqueront que Bilbo le Hobbit et sa suite étaient en fait classés en littérature jeunesse. Certes. Ce qui explique, peut-être, la certaine gravité pompeuse de la trilogie (Bilbo le Hobbit est un peu moins pesant). La lecture des trois bouquins s’est assez vite transformée en pensum pour moi, comme plusieurs oeuvres de science-fiction écrites par des scientifiques (je pense notamment à Carl Sagan). Carl a des idées géniales, ce qui fait que l'on arrive à terminer sans trop de problèmes un roman comme Spin. Mais ce n’est pas un écrivain. Il est capable d’élaborer une intrigue complexe et détaillée, mais sa narration est plate et un peu laborieuse. Pour moi, même combat chez Tolkien : un univers incroyable et une intrigue bien ficelée, mais un style très plat, un peu ampoulé et qui se prend au sérieux.

lord-of-the-rings-the-fellowship-of-the-ring.jpg

Où je voulais en venir déjà ? Ah oui. Les interprétations sexuelles du Seigneur des Anneaux me semblent complètement à côté de la plaque (sauf pour le lol, parce qu’il y a quelques parodies marrantes). Tolkien a écrit une grande fresque initiatique qui s’interroge sur l’opposition de Mal et du Bien (JRR était un fervent catholique), à visée universelle. Je ne pense pas qu’il essayait de faire passer un quelconque message sur l’homosexualité ou autre. Dans une histoire aussi fourmillante de personnages (pas forcément tous très développés), difficile de désigner le héros. Le fil rouge, c’est bien sûr Frodon qui cherche à achever sa quête. Pourtant, je ne le trouve pas très intéressant : une fois que l’anneau exerce son emprise maléfique sur lui, il n’est plus vraiment lui-même et je m’en désintéresse un peu. Le personnage le plus passionnant à mon avis, c’est Sam. Pourquoi est-ce qu’il suit son ami dans cette aventure qui tourne au cauchemar, lui qui ne voulait même pas partir de chez lui au départ ? C’est possible qu’il soit amoureux de Frodon, mais pour ma part, je penche pour une interprétation bien plus tragique.

Sam est un être droit, avec un sens du devoir développé et une compréhension aigue de ce qu’il est juste de faire, de ce que signifie être quelqu’un de bien. Or, une fois que l’on sait ce qu’il faut faire pour être une bonne personne, pour être un bon chrétien dans le cas de Tolkien, comment y échapper ? Face à une décision, vous avez le choix entre deux attitudes : une attitude juste moralement et une attitude indigne, injuste ou méprisable. Si la décision n’a des conséquences que privées, la pression est moindre. Mais dans le cas de l’anneau, sa destruction est vitale pour l’avenir de la Terre du Milieu et de tous ceux qui y vivent. Sam doit choisir : aider son ami qui ne pourra pas y parvenir sans lui ou ne rien faire. Comme il est une personne morale, il ne peut pas échapper à cette quête. A partir du moment où Frodon lui demande de l’aide, il est pris au piège.

Alors, quand Frodon souffre parce qu’il est possédé par l’anneau, quand ils ont froid et faim, quand le danger fond sur eux, c’est Sam que je plains de tout mon cœur. Parce qu’après tout, Frodon n’avait qu’à pas passer l’anneau à son doigt. On lui avait dit, que c’était une mauvaise idée. Alors que Sam, d’une certaine façon, n’a jamais eu le choix, prisonnier de sa morale. Pauvre Sam. Salaud de Frodon.

184493147_small.jpg

Bad luck, mate.

Et surtout, salaud de FBI qui ferme Megaupload. Le combat Anonymous/FBI montre bien que la vision manichéenne du monde de Tolkien n’existe qu’en littérature. Même si les Anons dérapent parfois à mon goût, ils ont mon soutien le plus total, ainsi que toute mon admiration, dans leur riposte en cours pour protester contre la fermeture de Megaupload. Déjà plusieurs sites hors service : Ministère de la Justice des Etats-Unis, Universal Music Group, Warner Bros Group, Hadopi…

En attendant, il y a les Chtis aux Sports d’hiver qui va commencer sur W9 (après les Chtis à Ibiza), si vous ne savez pas quoi regarder sans épisodes « illégaux » de Modern Family ou Docteur Who.  

Rédigé par Nombre Premier

Publié dans #Films TV Books & Music

Commenter cet article