Une rencontre
Publié le 2 Novembre 2013
Elle est posée dans le bar, assise avec des amis autour d’une bière. En entrant, il lui jette un coup d’œil en faisant le tour de la salle. Elle lui sourit et le détaille des yeux. Elle est plutôt jolie.
Une fois qu’il a rejoint ses potes, il ne pense plus vraiment à elle assise dans son dos. Il termine sa première bière et va pour en commander une autre au comptoir. Comme par hasard, elle se matérialise à côté de lui contre le bois vieilli, toujours souriante.
- Tu permets que je te l’offre ? Je m’appelle Elsa.
Il est un peu gêné, mais il se dit qu’après tout pourquoi pas. Elle lui plaît assez, elle a un beau sourire et un air naturel qui le rassure. Ils discutent en attendant leur pinte de blanche.
- Moi c’est Xavier.
- Enchantée. Tu viens souvent dans ce bar ?
- Assez oui, c’est un peu notre point de rendez-vous entre potes. Ils font de la bonne bière belge.
- J’avoue, c’est rare en plus à Paris. C’est laquelle ta préférée ?
- Je sais pas, j’aime bien la Kriek, la rouge, tu sais ? Sinon la Triple Karmeliett, toujours une valeur sûre !
- Je ne te le fais pas dire ! J’ai fait une partie de mes études à Lille, donc c’est presque le symbole de mes années étudiantes quoi.
La conversation continue comme ça un moment, à bâtons rompus. Ils sont accoudés au comptoir, leur pinte à la main, tournés l’un vers l’autre. Elle a toujours ce grand sourire et ce regard attentif, presque scrutateur, trop intense. Il sent qu’il lui plaît, et ça le flatte et lui fait chaud au cœur. Ses potes le regardent de loin, interrogateurs. Il leur fait signe que tout va bien. Elle s’est remise à parler :
- Dis-moi, tu as déjà dîné ? Je sais pas toi, mais j’ai un peu faim.
Il avoue que lui aussi. Ils terminent leur pinte et elle lui propose d’aller manger un falafel plus loin dans la rue. Il revient parmi ses potes chercher son manteau avant de repartir :
- Dis donc, ça roule ! Elle te plaît ? Vous allez où là ? Tu gardes ton portable et tu nous tiens au courant, d’accord ? Tu fais gaffe ? C’est cool en tous cas, elle est canon !
Il leur dit de ne pas s’inquiéter, ils vont juste au bout de la rue. Ils sont sympas les potes, mais parfois ils voient un peu le mal partout.
Ils commandent leur falafel au comptoir et s’attablent l’un en face de l’autre à une petite table en Formica. Elle sourit. Toujours. Ils discutent un peu de tout et de rien. Elle est consultante en management. Il lui explique qu’il termine sa thèse de bio. Quand le serveur dépose leurs assiettes fumantes devant eux, elle lui tend un billet de vingt euros, sans hésiter. Il est d’autant plus gêné, mais elle coupe court :
- Tu me paieras la prochaine bière.
A la fin du repas, elle passe aux toilettes et il se retrouve seul quelques minutes. Il en profite pour faire le point : elle est chouette, cette fille. Elle le fait rire et il la trouve ravissante. Il est prêt à laisser se dérouler la soirée, curieux de la suite des évènements, se laissant prendre en main.
Elle revient, et lui propose un autre bar pas très loin d’ici.
- Comme ça, tu pourras me payer ma bière !
Ils s’installent dans un petit bar un peu plus cosy, et se décident finalement pour des cocktails. L’humeur est joyeuse, ils se lancent de petites blagues, se cherchent doucement du regard. Elle a vraiment de jolis yeux, de longs cils de biche aux abois. A la fin du cocktail, il regarde sa montre : il est bientôt une heure du matin. Elle remarque son geste et lui propose naturellement :
- Tu veux venir boire un dernier verre à la maison ? J’habite pas très loin.
Il hésite un peu. Il ne voit pas de raison de refuser, à part qu’il a l’impression d’avoir une inconnue en face de lui. Mais cette inconnue est jolie, drôle, intéressante et intéressée. Elle le regarde en souriant, patiente.
- D’accord.
Il va régler au comptoir et en profite pour envoyer un texto aux copains. Je rentre avec elle… Un peu improbable mais plutôt chouette comme soirée (pour l’instant !)
Ils se mettent en chemin à pied, le long des petites rues animées du quartier. Il reçoit un texto d’Alex : Wow wow wow c’est trop coool J J’en déduis qu’elle te plaît ! Tu as une adresse, un numéro de téléphone à me donner… ? Tu me connais, Monsieur Parano c’est moi ! Il se promet de lui envoyer l’adresse une fois en bas. Mais évidemment, il oublie de repérer le nom de la rue, parce qu’elle l’embrasse doucement dans le cou en lui prenant la main.
Arrivés chez elle, elle dépose sa veste et son sac sur une chaise en lui disant de faire comme chez lui. Il place son manteau plié sur le dossier d’un fauteuil, brusquement intimidé. L’appartement est propre et bien rangé, tout ce que l’on attend de l’intérieur d’une fille célibataire de son âge. Elle sort deux verres à pied d’un placard et une bouteille de blanc du frigo. Ils s'installent tous les deux sur le canapé en continuant à discuter, plus doucement, presque à mi-voix. Il se sent un peu tendu, tout plein de l’attente du contact physique qui va immanquablement se produire. Effectivement, elle pose sa main sur son genou, presque l’air de rien, en buvant une gorgée de vin. Il la laisse faire. Elle continue de lui sourire gentiment, avec conviction. Ils parlent encore un petit peu, de tout, de rien. Il n’est pas vraiment là de toute façon, tout son être est concentré dans un petit morceau de peau au niveau de son genou, sous la chaleur de sa main à elle. Il répond à côté, il rit presque nerveusement. Alors, elle pose son verre sur la table basse, et, tournée vers lui, elle déclare en le regardant dans les yeux :
- J’ai très envie de t’embrasser, là.
Il sourit, un peu bêtement, ne sachant plus trop quoi dire, ne connaissant plus la réponse à cette question qui n’en est pas une. Elle se penche donc vers lui, leurs lèvres se touchent, hésitantes d’abord, puis plus assurées. Il s’est laissé aller contre l’accoudoir du canapé, elle a posé un bras de chaque côté de son torse, ses longs cheveux caressant sa chemise. Puis elle pose sa main gauche sur son épaule, sur sa nuque, dans ses cheveux, caressante. Elle descend sur son torse, puis remonte jusqu’au premier bouton de chemise, les doigts agiles et décidés.
- Attends, attends.
Il a saisi son poignet pour l’empêcher d’ouvrir le deuxième bouton. Il ne sait pas trop pourquoi, c’est presque un réflexe, il n’a pas réfléchi. Elle le regarde, les yeux attentifs, mais avec une once d’agacement derrière la rangée de cils épais. Elle lui demande gentiment :
- Ca va pas ?
- Si si, ça va. C’est juste… Je sais pas trop.
Elle se remet à l’embrasser, doucement, comme pour ne pas l’effrayer. Il ne sait pas trop ce qui le rend nerveux comme ça. Il devrait être ravi de se retrouver avec une fille qui lui plaît, à qui il plaît, dans un bel appartement, sur le point de faire l’amour. Mais il n’y est pas, il est à côté de ce qu’il devrait ressentir. Au lieu de l’excitation, il ressent une gêne, un malaise, presque une forme de violence.
Elle a remis sa main sur son torse, et elle gémit un peu en l’embrassant, il sent son souffle court. Elle a clairement très envie de lui, et très envie de le déshabiller. Elle attaque à nouveau le deuxième bouton en se collant contre lui, très chatte en chaleur, très impérieuse aussi. Il est presque prêt à se laisser faire, un peu intimidé par ce désir si fort, si brûlant, très flatté de se sentir autant désiré, ne sachant pas trop comment y échapper. Il finit par retirer sa main de sa chemise, en murmurant :
- Attends… Je suis désolé, je crois que je préfèrerais attendre un peu, je suis pas dedans là.
Elle se recule doucement contre le dossier du canapé, les sourcils froncés, l’agacement cette fois clairement lisible sur son visage. Puis elle se recompose un sourire :
- Si tu me laisses faire, je suis sûre que je peux te donner envie.
Il a aussi un sourire, mais gêné :
- Non, je suis désolée… Je crois que je préfèrerais y aller doucement pour ce soir.
Elle se repenche un peu sur lui, l’enserrant de ses bras tendus, et l’embrasse dans le cou en chuchotant :
- Mais t’inquiète pas, ça va bien se passer… J’ai trop envie de toi là, tu peux pas me laisser comme ça… Tu m’as trop chauffée, je peux pas rester comme ça…
Il finit par la repousser un peu brusquement, complètement dégrisé :
- Je suis désolé, je t’ai dit non. Je crois qu’il vaut mieux que j’y aille.
Elle se lève, énervée, et va chercher son manteau pour le lui lancer à la figure :
- T’es incroyable, toi ! Je te paie des verres toute la soirée, tu viens chez moi, mais tu baises pas… Tu sais pas ce que tu veux, quoi ! Allez, c’est bon, je supporte pas les allumeurs.
Il ne sait pas quoi répondre, il a un arrière-goût amer dans la bouche. Il aimerait dire qu’il ne doit pas coucher pour deux pintes de bière et un falafel. Il aimerait préciser que rentrer avec quelqu’un ne veut pas forcément dire qu’on veut coucher avec lui. Il aimerait affirmer qu’on a le droit de changer d’avis, à n’importe quel moment. Et il aimerait surtout lui signifier qu’être pris pour une proie, ça n’a rien d’agréable.
Mais au lieu de tout ça, il prend la porte, sans un regard en arrière. Elle la claque derrière lui et il se retrouve seul sur le palier, la minuterie éteinte, plus de métro pour rentrer.
Putain de soirée.