Wannabe entrepreneur (9)
Publié le 10 Janvier 2013
Salut les amis, je prends trente minutes dans ma folle journée de consolideuse slash entrepreneuse pour faire un point-culottes. Les choses s’accélèrent un petit peu vu que nous ne sommes plus qu’à vingt jours de l’ouverture ! Ca part un peu dans tous les sens : la campagne Internet, tout d’abord. Page Facebook publiée, clip promo diffusé, premier aperçu du site (et identification d’un petit souci de choix de police)… Attention le Web, les grandes culottes arrivent. Puis mise en place de la boutique physique : mon cher ami l’artisan (not) revient vendredi matin pour fixer les crémaillères et les miroirs au mur. Il a formellement refusé de venir lundi, donc qui doit aller chercher deux grands miroirs et des patères chez Leroy Merlin ce soir post-boulot ? C’est moi. Et qui doit les rapporter à la boutique avec ses deux petites mains et sur ses deux petites pattes ? C’est re-moi.
Bah oui, il vaut mieux que tu fasses ta plomberie toi-même, sinon ta meuf bien peu fidèle va inévitablement te tromper avec le mec de Leroy-Merlin. Logique. Une meuf, ça se surveille.
Heureusement, ma môman est à Paris pendant dix jours pour me donner un coup de main. Son rôle principal : rester assise sur une chaise dans la boutique pendant que les rendez-vous s’enchaînent. Electricien, Orange, Protection 24, assurance, IKEA, Rouxel/Rétif (vente en gros aux commerçants), le fameux artisan, les fournisseurs… Gentille, la mère. Sauf qu’elle n’a pas bien compris le programme, vu qu’elle m’a dit hier au téléphone : Au fait, j’ai dit à ton frère que j’irai garder mon petit-fils vendredi après-midi et tout lundi, ça te va ? Heu comment dire, non. Rien à faire que le marmot ait seize adorable mois, un charme fou et des cheveux blonds d’une finesse exquise. Tu es venue pour ta fille, tu sais, le grand machin qui porte des couleurs étranges et ne sait pas où est le sel dans sa propre cuisine. Alors tu restes bien gentiment dans la boutique et tu attends que les soutiens-gorge viennent s’empiler autour de toi. Non mais.
Je viens d’ailleurs d’apprendre une règle cruciale de l’éducation, à mes dépends : ne jamais faire une promesse qu’on ne compte pas tenir. Gros risque de traquenard, attention, vous promettez à vos risques et périls. Dans mon cas, je devais être dans ma vingtième et unième année lorsque j’ai lancé à ma petite cousine de neuf ans ma cadette, au détour d’une énième discussion sur le Japon, trop kawai, les mangas, le tofu et Mishima : Tiens, si tu veux, l’été après ton bac, on partira au Japon toutes les deux, ça sera notre voyage d’accord ? Etoiles et feux d’artifice dans ses yeux d’enfant, c’était Noël en avance. Personnellement, je n’avais plus repensé à cette discussion depuis. Et là, pendant les vacances, le piège s’est refermé sur moi. Je reçois un beau matin un mail (j’aurais dû me douter que quelque chose n’allait pas ; ma cousine est tellement 2.0 qu’elle communique quasi-exclusivement via Facebook). Je disais donc, un mail intitulé Japon :) :) :) :) :) :) :) Sceptique, je l’ouvre en priant pour ne pas tomber sur du pr0n à tentacules ou autre joyeuseté. Et là, je trouve un fichier Excel à cinq onglets aux noms évocateurs (Parcours/Trajet/Logement/Excursions…), avec dedans des adresses, des prix et des commentaires bien rangés (du genre J’ai trouvé un ryokan super à Kyoto mais il est à soixante-dix euros la nuit pour deux, tu penses que ça va ? Sinon il y a en a un moins bien à cinquante euros…) Un peu étonnée, je l’appelle.
- Ma grande ? C’est ta cousine. Ca va ? (sous-entendu : pas de préservatif qui craque ? Pas de zéro en maths ? Pas de traffic de shit entre les cours ?)
- Oui oui ça va, sauf que Margot ne m’a pas invitée à venir dormir chez elle alors qu’il y aura Diane et Julie, je comprends pas, je croyais qu’on était copines.
- Hmm. Pourquoi tu ne lui demandes pas le pourquoi du comment ?
- Non, je lui parle plus.
- OK (discuter d’amitié avec une ado, c’est comme évoquer le conflit israélo-palestinien ou le mariage pour tous, c’est sans fin). Bon sinon, j’ai bien reçu ton mail. C’est quoi cette histoire de Japon ?
- Bah, tu te souviens pas ? Tu avais promis qu’on irait ensemble quand j’aurais mon bac !
(prise de court) – Ah bon ? Ton bac ? Mais tu ne l’as pas encore, ton bac, si ?
- Bien sûr que non, je suis en première.
- Certes. Bon alors, pourquoi tu m’envoies ça maintenant alors que l’été de ton bac, c’est dans un an et demi ?
- Bah il faut bien le préparer, ce voyage !
- Oui mais tu sais, la plupart des gens commencent à organiser leur séjour disons maximum six mois avant hein.
- Oui, et bien ils ont tort. Nous on sera au top !
Du coup, tous les trois jours environ, je reçois un nouveau mail, intitulé Kyoto ou pas ? ou bien Okinawa ! Et si je n’y réponds pas sous vingt-quatre heures, je reçois une relance Facebook sous forme d’un point d’interrogation accusateur. Faîtes des cousines, je vous jure.
K.
Bon, on s’éloigne un peu du sujet boutique. C’est-à-dire que je ne sais pas trop bien quoi dire, à part que je suis en retard sur à peu près tout. Il faut que j’envoie masse de communiqués de presse, de mails et de retape aux gens pour essayer de faire circuler l’info de l’ouverture de ce nouveau concept trop swag. Il faut que j’organise le planning de ma mère. Il faut que je rédige les descriptifs de tous les produits qu’il y a sur le site, et ça devient vite très relou d’écrire vingt mille fois Ce superbe soutien-gorge galbera votre poitrine grâce à sa forme balconnet. Il faut que je prépare un peu mon cocktail d’ouverture, que j’envoie à la banque les justificatifs qui vont me permettre de toucher mon prêt, que je trouve des boîtes dans lesquelles envoyer les produits. J’aimerais voir mes amis aussi, ils me manquent. Et accessoirement, il faut que je consolide aussi.
Nouveau Moi est sympa, ça se confirme. On doit bosser ensemble toute la semaine prochaine, donc il vaut mieux. Collègue Brune, c’est ma copine, elle me fait des tresses le matin en arrivant quand je lui demande, on parle pilules et relations de couple et je lui fais des blagues pourries. Spychopat est fidèle à lui-même, de plus en plus ailleurs. Il nous snobe parce qu’il a beaucoup de travail et qu’il travaille en direct avec la chef, donc il fait des horaires de fou. Ça ne nous impressionne pas plus que ça. Ce midi, gros débat sur les filles qui mettent des décolletés, pourquoi elles mettent des décolletés, qu’est-ce que ça veut dire quand elles mettent des décolletés ? Ma fidèle Collègue Brune et moi-même avons fait face à un Spychopat très en forme qui a réussi à nous sortir des énormités du type Si la fille met une jupe courte, c’est sûr qu’elle sera déjà un peu plus d’accord ou bien De toutes façons, nous les hommes on a des pulsions, tu ne peux pas nous demander de les réprimer. Ensuite, à la pause galette, il m’a proposé qu’on en discute tous les deux tranquillement autour d’un dîner. Damnit, je flippe. Dieu sait pourtant que je n’avais ni jupe ni décolleté.
Et maintenant, on a deux stagiaires. Un Grand a rejoint le petit Varan. Ca anime, c’est sympa. Sauf que je doute fortement de mes capacités managériales. Déjà, ils n’ont aucun respect pour moi. Le fait que je jongle en permanence avec une balle en mousse à laquelle je réfère sous le nom de baballe y est peut-être pour quelque chose. Deuxièmement, ils s’adressent à moi comme à une camarade de chambrée. Le Grand m’a dit l’autre jour : Les provisions, ça pique. Sous-entendus, c’est chaud patate. Excuse-moi mais je ne parle pas le jeune. Ensuite, on a travaillé ensemble sur le document des immobilisations avec le Varan. Il m’a dit Je ne suis pas d’accord avec ce que tu fais, je ne comprends pas pourquoi on fait ça. Et lorsque j’ai répondu T’occupe, c’est moi qui décide, il ne l’a pas très bien pris, bizarrement. Du coup, il a envoyé à tout l’open space un dessin sous Paint qui le représente lui en train de m’éclater le crâne à coups de marteau (petite touche sympa, il m’a fait les cheveux blonds, je ne sais pas pourquoi). J’ai répliqué par un monument de l’art contemporain, également construit sous Paint, qui présentait une invention de mon cru : la tapette à varans. Qui n’est ni plus ni moins qu’une tapette géante en vue d’écraser tout représentant de l’espèce sus-nommée. Résultat, quand je suis allée passer un coup de fil dans le couloir, il en a profité pour envoyer depuis ma boîte mail à tout l’open space un autre dessin sous Paint avec marqué Mathieu + Nombre Premier = Cœur, le fameux Mathieu étant le big boss de la tréso. Et il l’avait même mis en fond d’écran sur mon PC, je vous signale. Où est le respect pour le supérieur ?
Enfin, mes techniques de motivation échouent lamentablement. J’ai tout essayé : leur parler comme à des enfants (Alors tu vois, tu ouvres le dodocument et tu vas voir le petit fifichier…) Leur lancer des phrases de motivation du type Hue, Varan ! ou Allez le stagiaire, au galop ! Leur promettre de leur donner un bout de mon Kinder Bueno au goûter. Recourir à l’intimidation : Si tu ne vas pas me chercher tout de suite un Coca Zéro, je partage tes photos Facebook avec tout l’étage. Seule réponse des intéressés : ils ont élaboré un système de cartons rouges sous forme de Post-it coloriés, et ils m’en collent un sur mon bureau dès que je dépasse les limites. A l’heure actuelle, il y en a dix-sept, bien alignés.
Oui, je crois vraiment que je vais leur manquer, quand je partirai.