Where is everybody?
Publié le 31 Janvier 2012
Alors comme ça, il paraît que ma vie n’est pas intéressante, Madame la Commentatrice Facebook. Pas faux. Aujourd’hui donc, point de brunch pas top, de super soirée ou de collègues relous à se mettre sous la dent. Aujourd’hui, c’est mardi, c’est Fermi, on va parler d’extraterrestres, pour changer.
(Han, ça t’en bouche un coin, la Commentatrice, pas vrai ? Je pense que tu trouveras ça encore moins intéressant mais bon, au moins ça change, lançons-nous).
Il y a des gens qui savent se poser les bonnes questions. Par exemple, Enrico Fermi, physicien italien de la première moitié du 20eme siècle. Il a entre autres reçu un Nobel pour ses travaux sur l’énergie nucléaire, que je ne maîtrise pas du tout (mais Wikipedia, elle, oui). Il participa au Projet Manhattan durant la Seconde Guerre Mondiale, et mourut à 53 ans d’un cancer de l’estomac. Voilà pour le contexte, et voilà sa photo.
Un jour, durant l’été 1950, à la cafétéria du laboratoire national de Los Alamos, Enrico discute avec trois collègues également physiciens. Et là, Howard dit à Sheldon: « Raj told me Leonard and Penny are back together ». Si seulement! Leurs discussions, à Enrico, Edward, Emil et Herbert, sont beaucoup moins terre-à-terre : ils parlent des extraterrestres, suite à un dessin humoristique paru dans le journal. Et là, selon la légende, Enrico s’interroge à haute voix : « Where is everybody ? » Une interrogation qui a fait marrer tout le monde ce jour-là, mais qui reste aujourd’hui d’actualité, sous le nom de « paradoxe de Fermi ».
Enrico et ses potes.
La question d’Enrico provient d’un constat : notre Soleil est plus jeune que beaucoup d’étoiles présentes dans la Voie Lactée. Les éventuelles civilisations qui se seraient développées dans ces systèmes solaires plus anciens auraient déjà dû nous contacter ou même venir nous voir. Nous aurions dû, par exemple, repérer leurs ondes radios, voire leurs vaisseaux. Et pourtant, rien. Le programme SETI (Search for Extra Terrestrial Intelligence) reste bredouille. Enrico se demande donc : « Si les extraterrestres existent, où sont-ils ? »
Cette question posée de manière informelle dans le cadre d’une discussion entre collègues à la cantine agite depuis la communauté scientifique. Bon nombre d’essais, de romans et de films tentent d’y répondre. Les hypothèses avancées les plus souvent sont les suivantes :
- Ils n’ont aucune envie de venir nous voir. On peut imaginer une civilisation assez évoluée pour nous contacter ou voyager dans l’espace sur de telles distances (rappelons que nous sommes incapables, à l’heure actuelle, de quitter notre système solaire), mais que la colonisation ou même la découverte galactique n’intéresse pas. La Chine, enfin ce qui devint la Chine plus tard, n’a pas manifesté les mêmes besoins d’extension et de colonisation que ses voisins romains ou grecs, par exemple. Jusqu’au 19eme siècle, la Chine des grandes dynasties ignora le reste du monde, dont elle considérait être le centre. Lors des révolutions industrielles occidentales, elle se ferma radicalement aux influences étrangères, tout comme le Japon, qui n’autorisa que quelques contacts commerciaux du dix-septième au dix-neuvième siècle. Et encore, les Etats-Unis forcèrent l’archipel à s’ouvrir à l’Occident en lui tirant dessus au canon. Tu m’étonnes, qu’ils préféraient rester tranquilles dans leur coin. Ce ne serait donc pas forcément surprenant qu’une civilisation ne soit pas dans une logique de conquête et d’extension de son territoire. C’est déjà arrivé sur Terre, cela peut arriver ailleurs. Selon toute probabilité, il y a en ce moment précis des planètes couvertes d’extraterrestres en forme de petits flans verts qui sont ravis qu’on leur foute la paix.
- Maman, Maman, regarde, de la poussière d'étoile!
- Oui chéri, j'ai vu. Allez, dépêche-toi, on va être en retard pour goûter chez Mamie.
- Ils sont là, mais nous ne les voyons pas. Pour le moment, au vu de nos connaissances de la vie et de nos moyens de la détecter, nous recherchons dans l’espace exclusivement des traces de vie basée sur la chimie du carbone, avec des réactions se déroulant dans l’eau, comme sur Terre. Mais les scientifiques pensent possible l’existence de vie complètement différente, à base par exemple de soufre, de silicium… Ou bien une forme de vie pour qui l’oxygène ne serait pas nécessaire, mais plutôt le méthane. Les organismes thermophiles, récemment découverts dans les grandes profondeurs, prolifèrent à des températures auxquelles, jusque récemment, on ne pensait pas la vie possible (jusqu’à 113°C). De façon plus excitante, on peut envisager que ces extraterrestres soient plus évolués que nous et qu’ils souhaitent nous observer sans qu’on le sache. C’est l’hypothèse du zoo de John A. Ball : ces super-aliens nous observent de loin, sans chercher à interagir, pour ne pas perturber notre fonctionnement. Comme si nous étions des fourmis dans une fourmilière d’appartement. Ou plutôt, au vu de nombreuses colonisations qui se sont mal déroulées, ces voyageurs avisés de l’espace ne prendraient pas le risque de s’imposer à nous. En parallèle, on trouve l’hypothèse de la quarantaine galactique, qui a un nom plutôt bad-ass. Selon l’astronome américain Michael Papagiannis, les extraterrestres nous soumettent en fait à un test. Ils attendent qu’on atteigne un certain niveau technologique, pour que la rencontre avec eux ne soit pas un trop gros choc, ou bien ils attendent de voir si l’humanité est capable d’éviter l’autodestruction (à cause d’une guerre nucléaire, de la surpopulation, d’une catastrophe climatique ou épidémique…) Ils nous gardent dans leur vivier en attendant que l’on soit assez sages pour être dignes de leur savoir. Cette hypothèse des super-aliens a des petits accents métaphysiques, c’est beau.
Enfin, ils n’existent tout simplement pas. Et là, patatras. Serions-nous réellement seuls dans l’univers ? Cela semblait nombriliste et mégalo jusqu’à très récemment. Et aussi rabat-joie. Par exemple, au dix-neuvième siècle, l’astronome italien Schiaprelli croyait distinguer à la surface de Mars des « canaux » d’irrigation crées de toutes pièces par une civilisation intelligente (il s’agissait en fait de canyons asséchés). Les journaux et les magazines relayèrent l’info, qui fit rêver le grand public. Les découvertes actuelles de l’exobiologie, sans remettre en cause la possibilité d’une vie extraterrestre, ne la confirment pas vraiment. Notre système solaire, avec ses huit planètes (plus Pluton), dont quatre rocheuses et non gazeuses, aux orbites réguliers autour de notre Soleil, fait un peu figure d’exception. Les scientifiques peinent à trouver des systèmes avec des planètes non gazeuses, en « zone habitable », c'est-à-dire à la bonne distance de leur soleil pour être ni trop chaudes, ni trop froides. Les planètes doivent aussi, en l’état actuel de nos connaissances de la vie, comporter de l’eau, du carbone et une atmosphère. Il y a bien quelques candidates, comme la petite Gliese-51, qui paraît assez prometteuse. Mais pas moyen d’aller voir avant un bon moment de toute façon, vu qu’elle se situe à une vingtaine d’années-lumière de nous.
En gros, nous ne sommes toujours pas en mesure de donner une réponse à la question d’Enrico, qui n’est peut-être pas destinée à en avoir une. Depuis qu’il l’a posée en 1950, la communauté scientifique a essayé de la reformuler de manière plus mathématique. Frank Drake, astronome américain à l’origine du projet SETI, propose ainsi en 1961 la fameuse équation éponyme. Elle entend estimer le nombre potentiel de civilisations extraterrestres dans notre galaxie que nous pourrions contacter. Ce nombre se décompose en sept facteurs auxquels il convient d’attribuer une probabilité la plus juste possible (cela reste une estimation). Voyons ensemble :
N, c’est donc le nombre de civilisations extraterrestres que nous pourrions contacter / qui pourraient nous contacter, par ondes radios principalement (c’est la méthode choisie par le projet SETI).
Passons aux facteurs. R* est le nombre d’étoiles en formation chaque année dans notre galaxie. Drake l’estime en 1961 à 10 par an (et autant vous dire que je n’ai aucune opinion là-dessus).
fp est la fraction de ces étoiles possédant des planètes (estimée par Drake à 0,5).
ne est le nombre moyen de planètes potentiellement propices à la vie telle que nous la connaissons par étoile. Ce facteur-là avait été apparemment surestimé par Drake (qui donnait le chiffre 2), au vu de la composition des systèmes découverts ces dernières années.
fl est la fraction de ces planètes sur laquelle la vie apparaît effectivement. Autant dire que là, la fête des probabilités commence. Impossible d’avoir une estimation un tant soit peu précise de ce facteur. Sur Terre, la vie est apparue rapidement une fois les bonnes conditions réunies, mais on manque un peu d’autres exemples donc bon. Drake, optimiste, attribue 1.
fi est la fraction de ces planètes sur laquelle apparaît une vie intelligente. Oui parce que bon, la vie, ça peut aussi être des bactéries. Pas franchement excitant. Dans le même genre d’idées, fc est la fraction de ces planètes « intelligentes » capables et désireuses de communiquer. Parce que même s'il existe par exemple une planète de fourmis, peut-être qu’elles ne savent pas communiquer dans l’espace (elles n’ont pas de satellites ou d’ondes radios, même si elles ont une chouette organisation sociale). Ou alors, comme dans l'une des hypothèses du paradoxe d’Enrico Fermi, une civilisation peut avoir les moyens de communiquer avec nous mais aucune envie de le faire. Un peu comme le jeu cruel des cartes de la Saint-Valentin : elle reçoit nos cartes (car nous en envoyons, figurez-vous !) et puis elle les jette à la poubelle. Drake estime ces deux facteurs à 0,01 chacun (prudent, le Drake).
Enfin, L est la durée de vie moyenne d’une civilisation, en années. Difficile à dire, là aussi. Au vu des civilisations aujourd’hui disparues qui ont peuplé la Terre, Drake propose 10 000 ans.
Ce qui nous donne donc N= 5.
Il y a donc, d’après l’équation de Drake et selon ses estimations, probablement 5 civilisations extraterrestres dans notre galaxie que nous pourrions contacter, et vice-versa. Pourtant, malgré de gros efforts pour communiquer, nous ne connaissons toujours que la nôtre, de civilisation.
Mais ne désespérons pas. 2012, c’est déjà l’année de la partouze et de l’apocalypse, ça pourrait aussi être celle des rencontres du troisième type.
(Merci Wikipedia!)