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Publié le 13 Mars 2012

Le temps qui passe. Il passe vite, ce con. Tu oublies de te retourner une seconde, le temps d’un battement de cil, et tes souvenirs sont déjà très loin, en bout de route. La pluie les délave de minute en minute, la distance les rend flous, ils prennent des allures de mirage. Ai-je réellement vécu cela, ou l’ai-je simplement rêvé ? Je ne sais plus. J’ai l’impression d’avoir eu plusieurs vies.

J’ai beau courir comme un chat qui cherche à attraper sa queue, le passé reste désespérément hors d’atteinte, perdu pour toujours. J’aimerais bien pouvoir me fier à mes souvenirs. J’aimerais pouvoir me rappeler les moments forts qui expliqueraient pourquoi je suis comme ci ou comme ça. Mais je n’y arrive pas. Je crois en saisir un, parfois. Il semble irréel, baigné d’une lumière Instagram, un montage de toutes pièces de mon cerveau qui veut y croire trop fort. Du soleil dans le feuillage du figuier de mon grand-père. Des après-midis qui passent comme des slows de dix minutes, trop doucement et trop vite à la fois. Un intérieur de cabane dans les arbres, dans la pénombre de la fin de journée.

Parfois, à l’inverse, je m’étonne de retrouver des souvenirs tout frais, comme une balafre dont il suffisait de gratter la croûte pour la faire saigner. Des moments forts, souvent embarrassés, embarrassants. Une main qui se glisse dans la mienne, le coup au cœur. La peur de se faire sérieusement engueuler, pour un truc de gamine, un gilet perdu, un devoir pas fait. La joie aussi, la joie pleine et entière qu’il n’est possible de ressentir qu’avant la puberté, avant de prendre conscience de soi. Celle provoquée par un anniversaire, un Noël particulièrement réussi. Pourtant, même si je suis sûre d’avoir été heureuse, je n’ai pas beaucoup de souvenirs heureux. Les instants en demi-teinte de l’enfance, ceux qui n’ont rien de spécial mais qui constituent le quotidien, ne m’inspirent aucune émotion. Je me rappelle avoir joué toute seule des après-midis entiers, et c’est ce que je voulais, je n’avais envie de rien d’autre, dans ma bulle. J’étais bien, tranquillement.

Il y a aussi les moments qui m’ont été racontés tellement de fois que j’ai l’impression de m’en souvenir. Mais c’est faux. Je l’imagine, le bus au Mexique, la porte sombre de la cour en Espagne, mon déguisement de fée rose bonbon. Mon père tenait parfois la caméra, quand j’étais petite, et j’ai aussi quelques photos. Quand j’étais ado, j’ai consciencieusement regardé tout ce matériel à ma disposition, à la recherche du moi. J’ai saisi quelques bribes, mais il n’y était pas vraiment.

Quand j’ai eu dix ans, je me suis mise à tenir un journal intime. Je voulais fixer sur papier tout ce tout ce qui se passait dans ma vie et tout ce que j’en pensais. Ca me semblait intéressant au plus haut point, exceptionnel presque, et j’espérais bien me relire un jour, ou mieux, que d’autres gens me lisent et se disent : « C’est incroyable, c’est exactement ce que j’ai ressenti, moi aussi il m’est arrivé ça ! » On ne peut pas dire que j’étais incroyablement modeste, hein. J’ai encore quatre ou cinq cahiers bien remplis de mon écriture ronde. Ma mère les lisait aussi, alors j’écrivais en code, je mettais des avertissements en grosses lettres (CECI EST PRIVE !), je planquais les journaux derrière mon étagère. J’en ai même eu un qui fermait à clé (que j’ai rapidement perdue), dont j’ai ensuite cassé la serrure pour pouvoir continuer à m’en servir, et que je cachais ensuite comme les autres.

Puis j’ai eu accès à un ordinateur, et c’était encore mieux. Je mettais des mots de passe sur les fichiers Word dans lesquels j’écrivais tout, ma vie, celle des autres, de la fiction. Ca inquiétait mon père. J’écrivais en ligne aussi, sous pseudonyme ; j’avais quinze ans. Les textes devaient faire moins de 1500 caractères. D’autres internautes lisaient et commentaient, et je leur donnais aussi mon avis sur leur travail. C’était chouette. Tous les soirs, je rentrais du lycée, j’attrapai un truc à manger dans la cuisine et j’écrivais un texte sur l’ordinateur. Je le publiai, puis je faisais semblant de faire mes devoirs. Le plus souvent, casque sur les oreilles, j’écoutais de la musique en écrivant, encore et toujours, mon « roman », comme je disais. Il y en a eu plusieurs. Ou bien je chantonnais en dessinant, et puis j’appelais une amie pour papoter. Puis, à une heure acceptable pour ma mère, je me remettais devant l’ordinateur. J’allais lire les réactions suscitées par mon texte, lire ce que les autres avaient écrit. Puis je me baladais encore sur Internet après dîner, sur des salons de discussion parfois, mais ça c’était plus au collège. Au lycée, je discutais un peu sur MSN. Mais surtout, je découvrais des trucs, n’importe quoi, tout si possible, c’était cool.

En terminale, j’étais déprimée au possible. Je voyais tout en noir, surtout l’après. J’avais l’impression d’avoir raté ma vie à dix-huit ans parce que j’étais en filière S, que je m’apprêtais à faire des études qui ne m’intéressaient pas, et parce que je savais bien que je ne serai pas écrivain. J’ai enfin fini un roman, du coup, le seul, à l’heure actuelle. Je l’ai glissé dans quatre enveloppes que j’ai envoyées à Flammarion, Gallimard, et deux autres maisons d’édition, en sachant très bien qu’elles répondraient non. Ce qu’elles ont toutes fait, par lettre-type, au cours du mois où j’ai eu mon bac.

Ensuite, je n’ai plus rien écrit pendant un long moment.

En prépa, je n’avais plus trop le temps, et surtout plus d’inspiration. J’écrivais des bouts de nouvelles de temps en temps, mais le cœur n’y était plus. Ma mère avait découvert le site sur lequel je publiais mes petits textes, elle m’avait passé un savon parce que je ne lui en avais pas parlé avant, ça m’avait conforté dans l’idée que j’avais bien fait. J’avais aussitôt effacé toute trace de mon passage sur ce site. En deuxième année de prépa, j’ai recommencé à écrire en cours de maths, parce que je m’ennuyais. Des trucs sans queue ni tête qui essayaient d’être drôles, pour distraire mes voisins et voisines. J’ai surtout écrit des pages et des pages de copies doubles sur des sujets variés, le blé en URSS, la méthode scientifique, le réseau de transports en Afrique sub-saharienne. J’en avais mal au poignet, parfois, et pas pour les bonnes raisons.

Puis j’ai intégré une école de commerce, et là, c’était foutu. Le peu d’inspiration qui me restait s’est définitivement évaporé dans les vapeurs d’alcool, de glande et de promiscuité. J’ai profité, comme on dit. On a juste écrit le scénario d’une comédie musicale avec quatre autres élèves, un excellent souvenir. Puis j’ai redécouvert le fait d’être devant un bureau toute la journée en stage, et l’envie de créer quelque chose, de ne pas résumer ma vie à des tableaux de chiffres (même mis en forme avec des couleurs). Alors, j’ai ouvert un blog.

Un an et demi après, j’ai à nouveau ouvert un blog.

Je me remets doucettement à écrire, et puis j’ai toujours quelques projets sur le feu, qui mijotent, qui m’occupent l’esprit, qui avancent à pas de velours.

Ecrire, c’est un moyen de parler sans être interrompu, disait Jules Renard (je sais, c’est classe). C’est exactement ce que je viens de faire : j’ai parlé de mes souvenirs, de mon plaisir d’écrire en digressant, et sans qu’il n’y ait de chute à cette histoire. On aurait été à un dîner mondain, personne ne m’aurait laissé parler aussi longtemps. Merci la page blanche.

Par contre, Jules, de nos jours, il existe le blog : certes, personne ne t’interrompt, mais les commentateurs te répondent, parfois. C’est beau.

Rédigé par Nombre Premier

Publié dans #Ma life

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