Déconfinement, Day 4

Publié le 14 Mai 2020

Rassurez-vous, je vous épargne un « bilan de confinement » ou autre ineptie de ce genre. J’ai lu un tweet ce matin qui disait « Si vous êtes sorti inchangé de ce confinement, c’est que vous n’avez rien compris ».

J’ai clairement tout compris. De ces deux fabuleux mois de pandémie mondiale passés entre quatre murs, je suis sortie avec une anxiété encore plus galopante que d’habitude, l’obsession de quitter Paris pour des contrées plus vertes et une envie malsaine de revoir la série Years and Years mais en même temps non parce que c'est trop déprimant.

Qui plus est, mon quotidien post-confinement a assez peu changé, en tous cas rien qui mérite un bilan. Pas d’apéro sur le Canal Saint Martin pour moi. Mon déconfinement, je l’ai fêté dignement, en fanfare : seule chez moi, en mangeant un Burger King livré par Deliveroo. Attention, quand je dis seule, ce n’est pas avec mon +1. Lui, il est allé travailler. Donc pour la première fois en deux mois, j’étais vraiment seule. Pas un bruit dans l’appartement, et surtout, plus un bruit dans ma tête. Le bonheur. Le Burger King n’était au final pas terrible, mais c’était plus pour le geste qu’autre chose. Je tenais à marquer le coup.

Je suis encore en télétravail deux semaines au minimum, donc je continue ma routine, je travaille en regardant des films ou des séries en bruit de fond, je cherche du boulot en même temps, je continue ma formation doucement. Je n’arrive pas à réenclencher la machine de la vie sociale, du retour physique au travail. Je fais partie de ces gens interviewés à longueur d’article en ce moment qui disent « la fin du confinement m’angoisse ». Moi pareil.

D’abord, pour moi, le confinement, c’est la vie facile. Je ne passe plus deux heures dans les transports chaque jour, je peux me faire à déjeuner tranquillement le midi, je n’arrive pas claquée à 20h30 chez moi en criant famine. Je ne me lève plus à 6h30 non plus d’ailleurs. Je peux me laisser aller à ma tendance naturelle à stocker la nourriture « parce qu’il y a le virus et que c’est dangereux d’aller souvent au supermarché ». Je peux regarder The Office UK en petit-déjeunant, un film tout naze en bossant, la saison 2 de The Wire le midi. Bref, le paradis.

Ne pas voir ses collègues permet aussi d’échapper aux complexes rouages de la sociabilisation au bureau si bien caricaturée dans The Office (d’où le re-visionnage). En vrac, ça fait longtemps que je n’ai plus pensé à ma collègue gentille mais relou, à mon collègue qui n’en fout pas une, à mon autre collègue qui raconte tout à tout le monde, etc… La liste est longue. Bien sûr, ma collègue Copine (dédicace à celle qui me lit !) me manque, ainsi que les interactions les plus agréables d’une journée de bureau (les blagounettes au distributeur de canettes de Coca Zéro, les gossip en petit comité, les moments de productivité intense…) Mais au final, avec Skype, Zoom, Teams et consort, on s’appelle en visio et c’est à peu près pareil.

Cela dit, la troisième raison qui me fait redouter la fin du confinement est plus perverse. Je suis quelqu’un d’anxieux ET d’introverti. Eh oui, je cumule. Il se peut que ce soit une surprise pour certains lecteurs, parce que j’aime beaucoup voir mes amis, que j’adore dire n’importe quoi et que j’apprécie les expériences improbables (par exemple, le salon des survivalistes l’an dernier, poser pour une marque de fringues il y a plusieurs années, un cours de chant/yoga en début d’année…) Du coup, quand je révèle à mes intimes que je suis Super Anxieuse Introvertie, c’est un peu comme quand Spiderman révèle être un ado boutonneux piqué par une araignée : un peu awkward et les gens n’y croient pas trop. Heureusement, j’ai des amis très patients et très encourageants qui comprennent la situation et ne m’en veulent pas trop de ne pas les appeler très souvent ou de ne pas sortir plus de chez moi.

Vous voyez arriver le problème ? Le confinement, pour moi, c’est un beau terreau bien fertile sur lequel peuvent s’épanouir toutes mes angoisses. Quand d’habitude j'arrive à me pousser à sortir et à sociabiliser (car quand j’y suis, je suis contente), avec le virus, il ne faut surtout pas sortir. Ah bon, dans ce cas, j’arrête de déployer tous mes stratagèmes habituels et mon côté Super Anxieuse Introvertie est ravi, on peut rester dedans ad vitam eternam. En plus, avec le Covid, il faut se méfier de l’extérieur, ne pas aller trop loin en promenade, ne parler à personne, rester loin des gens, ne pas aller dans une foule entourée d’inconnus, ne pas aller dans des endroits où il y a plein de bruits, des gens qui parlent fort, de la musique, des gens qui draguent, bref, de la vie exubérante. Non, le jeu en Avril, c’était de rester chez soi dans son canapé, de voir ses amis de loin en visio, en pouvant raccrocher quand on avait fini de sociabiliser, c’était ne pas avoir à surveiller les gens dans le métro autour de soi au cas où (au cas où quoi ? Qu’ils me parlent, qu’on soit coincé dans un tunnel et qu’on doive survivre tous ensemble, que quelqu'un fasse une crise de quelque chose…) Bref, j’ai pu laisser libre cours aux aspects de ma personnalité que j’essaie de combattre au quotidien, et pire, ces tendances étaient encouragées en ces temps de confinement.

Pas étonnant donc que maintenant j’ai peur de sortir. Je n’ai aucune envie d’aller voir mes neveux relous et bruyants qui vont s’accrocher à moi avec leurs mains pleines de doigts, même s'ils me manquent avec leurs blagues et leurs petites têtes mignonnes. J’ai envie de voir mes amis mais ça va me stresser d’aller dans des bars, des cafés, de faire face à des inconnus (inconnu=danger et non plan cul comme on pourrait le croire), de ne pas pouvoir tout contrôler. Car l’anxiété vient bien sûr de là : le besoin de contrôle. Le besoin de routine, de toujours pareil, de pas de surprise, de viens on retourne deux fois de suite dans le même restaurant quand on est en week-end à Prague (poke mes anciennes colocs d’amour).

Depuis deux mois que je ne sors que couverte d’un masque, en mode ninja, sans rien toucher, en évitant les gens au maximum, en changeant de trottoir pour ne pas croiser une personne âgée, comment je peux revenir du jour au lendemain en mode normal ? Enfin, en mode normal Super Anxieuse Introvertie. Depuis deux mois, j’ai cet incroyable pouvoir de maîtriser plein d’aspects de ma vie que je ne peux pas maîtriser d’habitude. Ça a évidemment l’effet inverse que celui auquel on pourrait penser. Au lieu de me calmer, ça me stresse encore plus. Parce que plus ta routine est stricte, plus chaque petit manquement te rend dingo. Et tu finis par perdre ta (maigre) capacité d’adaptation. Eh oui, c’est pas beau, de ne pas aller tout à fait bien dans sa tête.

Bref. Je résume. Le confinement, en allant dans le sens de mes névroses naturelles, n’a pas aidé à mon épanouissement et a accentué certaines de mes angoisses. Cela dit, je pense que je vais m’en sortir. Petit à petit, je vais retrouver le chemin du dehors, d’une certaine insouciance, de la légèreté, de l’instant présent. Je ne sais pas trop comment, mais je vais trouver. Ce déconfinement général est finalement un peu une métaphore de ce qui se passe à l’intérieur de moi : j’essaie de m’ouvrir vers l’extérieur, de sortir de ma bulle, de vivre un peu plus fort. Pas trop quand même, mais un peu plus. Aller mieux, lâcher prise, c’est un bien bel objectif dans la vie, surtout au printemps ensoleillé à Paris.

Cœur d’amour sur vous comme d’habitude – et à très vite en chair et en os j’espère.

Rédigé par Nombre Premier

Publié dans #Ma life

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