Adopte un gars (3)

Publié le 18 Juillet 2012

Chère fille,

Bon, j’ai laissé passer une grosse semaine depuis ton dernier message, histoire de calmer le jeu. Je te rappelle quand même qu’on s’était envoyé des gentillesses à la figure électronique, du genre « Tu ne me fais pas bander » ou « Je ne sais pas ce que je veux, mais je ne veux surtout pas toi ». Autant c’est agréable de ne pas avoir à jouer un rôle quand je te parle, autant j’aimerais éviter qu’on en vienne aux insultes à l’avenir.

Oui, parce que d’après moi, il y aura un avenir. Ce n’est certes pas évident suite à notre premier rendez-vous catastrophique. Je te présente mes plus plates excuses. Le désir sexuel ne se contrôle pas vraiment, comme tu le sais. Tu vas me répondre que ce n’est pas le fait que je l’ai ressenti qui t’a agacé, mais plutôt le fait que je te l’ai fait ressentir. Je peux comprendre. Parfois, dans le métro ou dans un bar, je m’imagine être une fille, et ça me déprime. Entrer dans un lieu public, se faire déshabiller du regard par le mec bizarre au comptoir ou sur le strapontin. Se faire adresser la parole parfois, des bonjour, des ça va, des vous êtes charmante, des tu es très belle. Supporter l’interlocuteur qui se tient à moins d’un mètre de toi, tout proche, qui te regarde avec cette même lueur de désir, pas désagréable dans des circonstances choisies mais simplement écœurante le matin à huit heures en allant au boulot. Avoir une conscience aigue de tes seins, de tes fesses, de tes hanches dans ces moments-là, et te demander si au final, ce n’est pas seulement ça qui te définit.

Bref, être une fille a sans aucun doute des bons côtés (je pense orgasme notamment), mais je suis ravi d’échapper à cet aspect-là de la situation.

En revanche, j’apprécierai que tu intellectualises moins, la prochaine fois. Tu soulignes à quel point j’ai manqué m’intéresser à toi. Mais pour ta part, tu as simplement greffé tes certitudes, tes insécurités sur le pauvre mâle qui te faisait face. Pendant que tu essayais de nous visualiser au lit, je pensais à toi dans le petit couloir de l’appartement de ma mère, dans la pénombre des volets toujours tirés. Mais je suis vite revenu de cette rêverie, parce que je sais d’expérience que tu ne peux pas commencer quelque chose un pied dans l’avenir. C’est simplement le présent, le présent blême et anodin, qui t’ouvre la porte des bonnes continuations.

Tout ça pour dire qu’on devrait se revoir, je pense. Tu prendras un Coca si tu veux, vu qu’on ne couchera pas ensemble de toute façon. Autant se voir en journée, tiens, même. Je ne parlerai pas du boulot. Ou plutôt si, j’en parlerai un peu, et tu me parleras un peu du tien si tu veux. Mais pas trop, pour ne pas que ce soit déprimant. La finance, les chiffres, tout ça. J’essaierai de poser des questions, mais honnêtement, si tu veux me parler de tes loisirs extraordinaires ou de ta petite enfance, il vaut mieux que tu abordes le sujet de toi-même. Je ne suis pas devin, je n’ai aucune idée de ce dont tu veux parler. Je peux tenter des « hypothèses éclairées », des educated guesses comme disent les Anglais, mais ne m’en veux pas si je ne tombe pas juste. Peut-être que ça s’apprend, peut-être qu’à force d’écouter et de retenir, je saurais anticiper ton cheminement de pensée. Mais ne place pas trop d’espoir là-dessus.

Touché pour le conformisme et l’image de la femme. Si j’ai eu un jour un semblant de virilité à tes yeux, je vais le perdre direct en affirmant que oui, je veux me marier. Un jour. Pas tout de suite. Et toi aussi, tu veux te marier. Ca ne sert à rien de dissimuler cette vérité sous un fatras d’accusations de conformisme, de niaiserie, de tradition obsolète. Se marier, c’est faire valider par une institution gouvernementale, possiblement par son ou ses Dieux si on le veut, et surtout par toute la société, qu’il y a quelqu’un qui t’aime ici-bas et qui est assez cinglé pour envisager de passer le reste de sa courte vie à tes côtés. What’s not to like ? Bien sûr qu’on n’a besoin de la validation de personne pour vivre heureux et avoir beaucoup d’enfants. Mais ça fait toujours plaisir. Et on peut aussi se pacser, si tu préfères, ça me va très bien. Tant qu’on fait une grosse fête, qu’on envoie un petit message qui dit « A tous : on fait ce qu’on a dit qu’on ne serait jamais prêts à faire, on s’engage » et qu’on apaise les inquiétudes de ma mère de me voir finir seul dévoré par des bergers allemands (oui, Bridget Jones marche aussi au masculin).

Et de ce fait, je crois que j’aime bien l’idée de la princesse à sauver. J’ai bien compris qu’il y a des femmes qui luttent au quotidien pour anéantir cette vision des choses. Mais je ne peux nier que oui, je me vois bien dans le rôle du prince. Evidemment. Attention, pas un Blond à mèches perché sur un cheval qui doit aller se coltiner un combat de monstres en haut du donjon ou je-ne-sais-quoi. Par contre, j’aimerais être un mec qui sert à quelque chose. Qui aide quelqu’un qui en a besoin, qui est celui sur qui on peut compter, qui devient irremplaçable et qui, en transformant la vie de quelqu’un, donne du sens à la sienne.

Ne t’inquiète pas, je ne vais pas te demander si tu veux être ma princesse, je ne voudrais pas te faire vomir des arcs-en-ciel. Pour être honnête, tu es quasiment à l’opposé de l’image que je me fais d’elle. Cela dit, je suis d’accord pour essayer de faire que la transformation de vie soit mutuelle, quitte à ne pas avoir autant de swag que ce putain de Prince Charmant.

L’un dans l’autre, en fait, j’aimerais bien te revoir. Non, pardon, pas l’un dans l’autre justement.

Rédigé par Nombre Premier

Publié dans #Adopte un gars-une fille

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L
<br /> Juste une question chère blogueuse : s'il existe vraiment quelqu'un, un homme donc, qui vous a écrit ça, fallait-il que vous le publiiez ? Son message précédent me le rendait odieux, celui-ci<br /> corrige mon jugement. Quelle que soit votre histoire mutuelle, je veux dire quelle que soit la façon dont vous la vivez différemment chacun de votre côté, cette dernière lettre de lui est celle<br /> de quelqu'un, je crois, qui mérite au moins de l'attention. Mais surtout : cette correspondance ne devrait-elle pas rester inconnue des lecteurs de votre blog ? C'est juste une question je n'ai<br /> aucune réponse toute faite. Amicalement. Laurent<br />
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N
<br /> <br /> Merci de votre commentaire, cher Laurent!<br /> <br /> <br /> Je vais vous faire une confidence: ce jeune homme qui, comme vous le dites, mérite l'attention mais sait se montrer minable, n'existe pas. Cette correspondance est totalement fictive, et je tiens<br /> la plume à chaque fois. Je suis contente si j'ai "réussi mon coup", et que vous ressenti un juste sentiment d'indignation, puis d'intérêt, durant vos dernières lectures. Merci beaucoup de votre<br /> lecture!<br /> <br /> <br /> <br />