Adopte une fille (3)
Publié le 4 Septembre 2012
Cher gars,
C’est la rentrée. J’imagine que tu l’as remarqué, et que tu es retourné vendre tes solutions Web personnalisées, avec encore le goût de l’eau de mer dans la bouche. Je suis de retour à Paris aussi, devant mon Excel et mes plantes vertes. Je ne sais pas trop pourquoi, du coup, je pense à toi. Probablement à cause de souvenirs inconscients provoqués par le retour à la routine. Ou à cause de l’ennui que je sens déjà poindre.
Je n’ai pas répondu à ton dernier message, même si son ton sensiblement différent m’a fait un peu réfléchir. Tu étais plus dans la mélancolie, la réflexion, presque la tristesse. Déprime passagère ? Fatigue généralisée ? Toujours est-il que ça m’a déstabilisé et m’a presque donné envie de te revoir. Après tout, un mec qui te parle mariage et princesse après un seul rencard, c’est un dream come true pour pas mal de filles. Je crois.
Même si évidemment, personnellement, je trouve ça flippant. Ok, je conçois tes arguments sur le mariage, pourquoi pas si c’est l’occasion de faire la fête et de crier son bonheur au monde entier. Mais à l’heure actuelle, on s’en fout, non ? La perspective de me retrouver un jour devant le maire me paraît aussi éloignée aujourd’hui que, disons, la chute globale des écosystèmes planétaires (en 2040, paraît-il). Je n’ai pas la tête pleine de robes blanches, de présentations aux parents, de bébés comme dans les pubs Pampers et de recherche d’appartement avec deux chambres en proche banlieue. Tout ceci a l’air de beaucoup te travailler, au fond, malgré l’épais vernis de sarcasme dont tu le recouvres. Si tu penses qu’il est temps que tu « te poses », que tu « t’engages », que tu « trouves la bonne » et « arrêtes de déconner », fais-toi plaisir. Mais sans moi.
Je me doute bien cependant que tu n’as pas passé ton mois d’août à attendre désespérément une réponse de ma part, les yeux rivés sur ton smartphone, tous les sens numériques en alerte, le cœur lourd à chaque soirée sans nouvel email non lu. J’imagine que tu es allé quelque part sur la côte basque, d’abord, une petite semaine entre amis dans une grande maison trouvée sur Internet. Il y avait une piscine, voire un jacuzzi, vous vous êtes essayé au surf et vous avez bu du vin rosé sur les transats multicolores. Il y avait quelques filles sans doute, une célibataire peut-être, petit flirt au parfum du piment d’Espelette. Puis une semaine chez les parents, dans cette fameuse province exotique, Bretagne sauvage et mystérieuse, les galettes de ta grand-mère et les amis d’enfance mariés. Enfin, une dernière semaine entre potes, quelques jours dans un pays d’Europe histoire de s’aérer l’identité nationale, je dirai la Croatie si tu aimes le tourisme de masse, sinon la Russie pour faire plus original.
Et ensuite retour à Paris, avec tes souvenirs de cocktails trois fois moins chers qu’ici, de grandes filles blondes habillées courts qui te souriaient de toutes leurs dents blanches, de plage figée sous le soleil de plomb et de sable au fond des chaussures en toile. J’espère que ça t’a fait du bien, cette pause institutionnelle. On peut essayer de repartir sur de nouvelles bases si ça te dit, je ne sais pas si ça en vaut la peine vu l’eau qui a coulé sous notre pont. J’ai quitté le site, au cas où tu ne l’as pas remarqué, parce que je n’ai pas l’esprit assez disponible pour les rencontres en ligne. Boire un verre avec toi m’en a fait prendre conscience. En tête en ce moment, j’ai un million de choses, mais l’amour et les rencontres n’en font pas partie. Le sexe oui, forcément, mais je ne te dis pas ça pour que tu t’emballes. Je dis ça pour respecter le pacte implicite d’honnêteté de ces échanges. Le sexe peut-être, donc, mais pas tout de suite. Saint-Michel à nouveau, vendredi prochain ?
Bon courage pour ta rentrée.