Sweet sixteen

Publié le 24 Juillet 2012

C’est vraiment pourri, les vacances. Sérieux, quoi. Qui est le sans-ami qui a décidé qu’on aurait deux mois de vacances l’été ? Ca se voit qu’il ne vivait pas chez ses parents. Ca fait deux semaines et j’en peux déjà plus. Au secours, j’ai seize ans, sortez-moi de là quoi. Mes parents se barrent le matin pour aller bosser pendant que je dors encore, au moins je ne les vois pas au petit déj. Je peux me poser tranquille devant Facebook et voir qui est connecté en bouffant mes Miel pops jaune fluo. Sarah se lève à peu près à la même heure que moi, la petite lumière verte à côté de son nom me fait de l’œil, et j’ai un nouveau message chat :

Salut pouffiasse :D Enfin réveillée ?

Elle me manque, ils me manquent tous. On est tous coincé chez nous toute la journée, à des bus, des trains, des kilomètres de voiture et de routes de campagne les uns des autres. Si j’avais mon permis ou au moins un scooter, je pourrais voir les filles tous les jours, en trois petits quarts d’heure. Mais non, je suis obligée de croupir entre quatre murs, dans mon bled paumé, pendant que le reste de la seconde B s’ennuie tout autant dans d’autres bleds paumés. J’en peux plus, de la campagne. C’est une prison. Et dire qu’il y en a qui râlent parce qu’il leur faut prendre le RER pour aller dans Paris. Pour moi il n’y a ni RER, ni métro, un bus toutes les heures. Tout est loin, compliqué, fatiguant, d’après ma mère. Du coup, je ne peux rien faire. Elle ne veut presque jamais m’emmener aux soirées, venir me chercher, me laisser en ville pour une après-midi shopping avec les filles. Sérieux, avant Internet, les jeunes devaient se suicider sans arrêt ici.

Pour occuper mes journées de vacances sans fin, je traîne dans le village assourdi par la chaleur, et je vais voir Noémie, ma copine de quand j’étais petite. On était dans la même classe du CP au CM2. On ne se fréquente plus trop maintenant, elle se la pète un peu, elle a des mèches, un copain qui a dix-neuf ans et elle veut être plasticienne ongulaire. Elle me prend de haut et je la trouve conne, mais chaque été, poussées par l’ennui et l’isolement, on se retrouve l’après-midi pour se balader le long des champs avec son golden retriever hyperactif.

Mais d’abord, il faut que je me lave les cheveux. Comme tous les jours. Non mais il n’y a que moi qui aie des cheveux aussi gras, franchement. Les cheveux de Margaux, ils sont nickel. Moi il faut que je les lave tous les jours, et en plus j’ai des fourches. Il faut que je m’épile les sourcils, aussi. Et que je me vernisse les ongles. Ils poussent bien, je suis contente. J’aimerais bien qu’ils soient super super super longs.

Dans la douche, je me rase sous les bras, et entre les jambes. Je vois pas trop à quoi ça va me servir, vu que je ne sais pas quand je vais revoir Arnaud, mais bon. Il est en Angleterre, en séjour linguistique, comme l’an dernier. Il m’envoie des textos trop chou tous les jours, mais moins que d’habitude, vu qu’il les paye. Oh, j’ai tellement envie de le voir. On se retrouverait chez lui, comme d’habitude. Bon, il faudrait que Maman accepte de m’emmener, mais si c’est un samedi où elle est de bonne humeur, ça devrait le faire. Les parents d’Arnaud sont trop sympas en plus, son père est toujours en train de bricoler des trucs dans le jardin, et sa mère me propose toujours un truc à boire. Pas comme les miens. Mon père lui gueulerait probablement dessus, et ma mère nous surveillerait tout le temps. Alors que là, on est posé. On peut passer des heures dans sa chambre, tout le monde nous fout la paix. On fait l’amour depuis genre six mois. On a attendu trois mois avant de passer à l’acte, parce qu’avec mon premier, j’avais eu super mal, donc j’avais un peu peur. Mais en fait tout s’est très bien passé, il est super doux Arnaud. Sarah, qui n’a fait que les prélis avec Benoît, m’a dit qu’une fois, elle l’a branlé et que quand il a joui, elle en a eu un peu sur sa main et son ventre, alors elle a peur d’être enceinte. Mais moi je lui ai dit que c’est pas possible, il faudrait qu’elle ait mis ses doigts à l’intérieur pour qu’il y ait une chance. Non ? Du coup elle va quand même faire un test.

Putain, mais qu’est ce qu’il fait chaud dans cette baraque. Je me connecte vite fait au serveur Minecraft qu’on a crée avec des potes. Margaux est là, elle construit sa maison en verre. Il est vraiment trop bien, ce jeu. Il fait passer le temps. J’entends Maman qui m’appelle en bas. Elle est revenue et elle veut que je mette la table. J’ai même pas faim de toute façon. Je suis encore en pyja, elle va m’engueuler et dire que je ne fais rien de mes journées. J’enfile mon vieux slim, un T-shirt Beatles avec les quatre qui traversent la rue et mes pantoufles avachies. Merde, j’ai encore oublié de mettre un soutien-gorge. Bon, on s’en fout, ça se voit pas.

Dans la cuisine, il y a plein de bruits de vaisselle, Maman cherche un plat dans le placard. Elle est sur les nerfs, je ne sais pas pourquoi. J’allume la télé pour regarder un truc, genre Nagui sur la 2. A table, devant la ratatouille d’hier soir et l’omelette de ce midi, Maman me demande mon programme pour le reste de la journée. Ah oui, j’avais oublié, mais elle ne travaille pas cet après-midi. Quelle horreur. Je me serais bien remise au lit avec un bouquin, genre le dernier tome de The Hunger games que j’ai pas fini, mais non, elle va vouloir que je range ma chambre, ou qu’on aille se promener quelque part. Gagné : elle propose du shopping en ville. Ca m’arrange, j’ai plus trop de fond de teint, et j’aimerais bien un nouveau slim, rouge si possible. Je me change, je mets un peu de crayon, je cache mes boutons, enfin j’essaie, j’en ai trop, et puis on part.

En ville, je croise Lucie de l’autre seconde chez Monop. Elle essaye des fards à paupière violets sur sa main. Je lui fais la bise et on discute un peu. Elle part en colo en Bretagne dans deux jours, la chance. En plus, elle n’est pas avec sa mère, elle est toute seule parce qu’elle va retrouver des amis. Trop la chance.

Je trouve un slim qui me plaît chez Zara, il est pas rouge mais plutôt rose vif, j’aime bien. Comme d’habitude, il n’y a plus ma taille, tous les 36 partent super vite. Je l’essaie en bleu nuit par contre, et il est plutôt cool. Maman insiste pour que je rentre mon chemisier dedans, ça se porte comme ça, elle dit. Elle veut qu’on essaie de trouver un manteau pour la rentrée, aussi. Vivement la rentrée. Il faut que je trouve ma tenue pour le jour J. Je dois faire une bonne première impression auprès des gens de ma classe. Il paraît qu’on va être mélangé avec des Allemand LV1, que je ne connais pas du tout. Je mettrais peut-être mon nouveau slim, avec mon top H&M en voile bleu clair. Ou mon short en jean, je sais pas.

Après le shopping, Maman insiste pour faire les courses à Carrefour. Non mais au secours. Je la supplie de me laisser aller au rayon culture pendant qu’elle s’occupe du reste. J’écoute le dernier CD de Dream Theater, je feuillette un truc à la con dont Sarah m’a parlé, une histoire d’anges et de loup-garous, ça n’a pas l’air top. J’achèterais bien le DVD de Very Bad Trip 2, mais je crois qu’Arnaud l’a chez lui. Margaux m’a prêté Lol que je n’ai toujours pas vu en plus.

De retour à la maison, je traîne un peu sur Internet avant que Papa ne rentre du boulot et ne me dise de faire autre chose, enfin, tu n’as rien de mieux à faire ? C’est trop drôle 9gag. Sur Facebook, Alice a posté une vidéo Youtube d’une cosplayeuse qui fait des tutoriels maquillage pour ressembler à une héroïne de mangas, c’est trop bien. Je me remets un peu sur Minecraft, mais bientôt c’est l’heure de dîner. Papa et Maman se racontent leur journée pendant que je trie les concombres dans ma salade. Puis ils essaient de se mettre d’accord sur notre date de départ en vacances. Avant de partir une semaine en Crête, on va aller voir mes grands-parents dans le Sud. Mais pas trop longtemps, j’espère. C’est la mort, là-bas. Pire qu’ici. Il fait dix degrés de plus, mon grand-père a toujours un truc qui va pas et ma grand-mère fait du bruit quand elle mâche. Il n’y pas Internet, je connais personne, de toute façon il n’y a rien à faire, donc je me retrouve à mater le téléfilm de l’été l’après-midi avec ma mamie, dans le salon où il fait presque nuit. Avec un peu de chance, il y aura aussi mes cousins, mais ils sont grands, ils passent leur temps à dormir et à passer des coups de téléphone. Mamie n’a même pas de box quoi, je n’aurai même pas d’appels illimités.

A la fin du dîner, je dois donner un coup de main pour remplir le lave-vaisselle. Papa me demande pourquoi j’ai toujours l’air fatigué et Maman lui répond que je suis en vacances justement pour me reposer. Papa réplique que vu mes notes au dernier trimestre, il n’y a pas de quoi être épuisé et Maman lui fait des yeux genre « On avait dit qu’on n’en parlerait plus », alors je préfère quitter la cuisine et aller sur Internet. Sarah est encore là, on parle un peu, elle me dit qu’elle n’a pas eu de message de Benoît depuis la soirée de la veille et qu’elle se demande s’il ne lui fait pas la gueule. Je suis super énervée de ne pas avoir pu aller à cette super soirée alors je ne compatis pas trop. Elle finit aussi par me faire la gueule et elle se déconnecte sans dire au revoir. Dans Minecraft, Margaux construit toujours sa maison transparente.

Vers vingt et une heures, Maman hurle pour savoir si je veux venir regarder Mission Impossible 3 sur Tf1 avec eux. Vers vingt-deux heures, Papa crie qu’il faut que j’aille me coucher, que sinon je vais encore me lever à pas d’heure. Vers vingt deux heures trente, je file sous ma couette. Papa et Maman viennent me faire une petite bise et éteindre la lumière. Dès qu’ils ont descendu l’escalier, je rallume pour lire un peu. A vingt trois heures, ils remontent et Papa me crie d’éteindre. Dans le noir, je vais sur Facebook depuis mon Iphone, et je vois Sarah à nouveau connectée. Je vais lui parler en lui demandant si elle a eu des nouvelles de Benoît, elle me dit que oui, qu’il avait oublié son téléphone chez le pote de la soirée et qu’il était en stage toute la journée aujourd’hui. Elle est soulagée, elle ne fait plus la gueule. Je lui envoie plein de cœurs virtuels, qui se détachent bien noirs contre le blanc scintillant de l’écran. Bonne nuit, pouffiasse. Bonne nuit ma pute ! C’est vraiment ma meilleure amie.

Minuit, je m’endors. Plus que 38 jours de vacances, vivement septembre.

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Rédigé par Nombre Premier

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