Wannabe entrepreneur (11)
Publié le 11 Février 2013
Il parait qu’à une époque, j’avais un blog. Un blog alimenté plutôt régulièrement, qui relatait une vie de bureau des plus classiques, ainsi qu’une tentative d’entreprenariat et un paquet d’anecdotes inutiles. Elle me manque, cette époque. Donc revoilà le blog, un article, ma vie, mes amours, mes emmerdes. J’espère que vous ça va, by the way.
J’ai ouvert une boutique, il y a deux lundis. Je sais pas par où commencer. Donc je vais juste parler sans réfléchir, vous dire en vrac ce qui me vient, mon petit retour d’expérience sur la vie de commerçante.
C’est long, la journée. Il n’y a pas de cantine, pas de pause déjeuner, pas de pause à la machine, juste de mini-pauses toilettes. Il y a toujours la vitrine, les gens qui te regardent depuis la rue, de dix heures du matin à dix-neuf heures trente. J’arrive plus tôt, le temps de traiter les éventuelles commandes Internet, les mails en attente et les papiers administratifs. A dix heures, je remonte mon rideau et j’ouvre ma porte comme on se jette à l’eau. Jusqu’à midi, c’est généralement très calme. J’en profite pour avancer ma to-do list, j’étiquète les produits, je vérifie l’état des stocks, je bosse un peu sur le site Internet. C’est l’heure où il n’y a pas de clients, mais où il y a des gens du business. Les livreurs d’abord, avec leurs papiers à tamponner et leurs caisses de soutien-gorges. Les laveurs de carreaux, dont la gamme de prix va de cinq à vingt euros pour laver la vitrine. La voyante qui passe une fois par semaine et qui ne comprend pas que tu ne veuilles pas savoir la suite. Je préfère avoir la surprise, c’est ce que je lui réponds. Les autres commerçants de la rue, qui viennent se présenter et jeter un œil à la boutique. Le facteur, qui m’apporte mes lettres avec le sourire.
A partir de midi, il peut y avoir des client(e)s. Je ne vous cache pas que le rythme est pour le moment assez sporadique. Mais j’ai déjà une habituée : une dame qui habite le quartier et qui est venue deux fois se fournir en soutien-gorges et culottes fendues (si, si). Sinon, la plupart des femmes qui poussent ma porte ont entendu parler de moi via Internet ou le bouche à oreille. Une top modèle plus-size vendredi dernier. Une danseuse de burlesque hier. Une association de femmes bien en chair ce jeudi.
Des femmes, j’en vois plein. Des grosses, des plutôt minces, voire très minces. Je vois plein de décolletés, aussi. De gros seins, des petits, des pendants, des bombés, des pas de la même taille, des fiers, des complexés. On parle, en cabine. Les filles racontent souvent une sorte de parcours de leur corps, j’ai pris vingt kilos, j’en ai perdu trente, j’ai les seins qui gonflent pendant les règles, j’ai les mollets enflés, j’ai du ventre à perdre, j’ai trop de fesses. Une cliente m’a rendu une culotte en me disant à regret : Elle ne me va pas, j’ai les cuisses trop grosses. J’ai répondu : Non, c’est la culotte qui est trop petite. Mon but, et mon boulot, c’est d’habiller « en dessous » toutes ces femmes, de leur proposer ce qu’elles veulent et non ce qu’elles doivent se contenter d’accepter. Le défi, c’est que parfois, cela n’existe pas sur le marché. J’explique que je n’ai pas trouvé de collants plus grands, ou de soutien-gorge fantaisie dans cette taille. Les filles comprennent, se résignent. Je leur dis de ne pas acheter ce modèle noir et pas fun si ce n’est pas ce qu’elles veulent. On va trouver. C’est ensemble qu’on bosse sur ce coup-là, beaucoup à la commande, souvent à l’arrache, en surfant le Net dans l’espoir de trouver le bon fabricant, le bon partenariat. Il y a des attentes à ne pas décevoir, mais les filles sont patientes, compréhensives.
Je ne suis jamais très à l’aise quand elles viennent avec leur conjoint(e). Le couple se parle toujours à mi-voix, comme s’ils débattaient de choses très privées. La femme demande l’avis de sa moitié, j’assiste à leur discussion, c’est comme entrer dans leur intimité. Il y a des mots tendres des compagnes ou compagnons, comme Je t’ai aimé tout de suite comme tu es, ou Je te trouve magnifique ! Les filles ont un vrai désir de plaire, peu importe leur taille, et elles plaisent, ça se voit dans les yeux de l’amoureux/amoureuse. Les choses plus coquines que la moyenne marchent bien : on s’arrache les culottes fendues jusqu’en taille 54, on me demande des guêpières, des corsets, des porte-jarretelles, beaucoup de bas. Je me rends compte que bien que j’ai de fortes tendances asociales, j’aime parler avec les clientes, en général. C’est comme découvrir une nouvelle vie à chaque fois.
Et sinon, la journée se passe en longues phases de solitude. Parfois je n’en reviens pas d’être aussi seule, physiquement seule, moi qui étais habituée à l’open space. Il n’y a personne pendant deux, trois heures. Je pourrai chanter à tue-tête, danser partout, passer un coup de téléphone perso, mater une série, tout le monde s’en fout. C’est un peu ma maison, la boutique. Je m’y sens bien, petit à petit, à ma place. C’est même le bordel comme chez moi. J’ai enchaîné les emmerdes concrètes : la Poste qui n’arrivait pas à m’installer son logiciel, des commandes qui n’étaient pas arrivées, des cintres qui manquaient, un terminal de paiement arrivé en retard et défectueux… J’avais acheté une balance postale sur Internet pour peser mes colis : elle ne pèse rien du tout. Un appareil électronique à trois boutons trouve le moyen de ne pas fonctionner. Le type du SAV n’en revenait pas. Je préfère croire que ce sont des épreuves qui forgent le caractère plutôt que la poisse pure et simple.
Je pensais pouvoir souffler une fois la boutique ouverte. Mais j’avais finalement bien pressenti que c’est là que le vrai défi commence. Maintenant que je suis un peu plus installée, il va falloir redoubler d’efforts pour proposer les bons produits aux bonnes personnes, faire de la com, des partenariats, se démener pour correspondre au prévisionnel et que le projet se transforme en réalité.
Il y a des moments où je ne pense pas avoir les épaules. Mais de toutes façons, je n’ai plus trop le choix. Alors je remonte sur mon tabouret de caisse, je remonte mes manches et je bosse dur. Advienne que pourra.
Voilà le petit update du lundi matin. Des anecdotes plus fun sur ma nouvelle vie bientôt, promis. Et demain on parle pas boulot, il y en a marre. Bon courage !